Page:Darwin - La Descendance de l’homme, 1881.djvu/161

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pas rare parmi les membres d’une même tribu ; ainsi, Mungo Park a entendu les femmes nègres enseigner à leurs enfants l’amour de la vérité. C’est là encore une de ces vertus qui s’enracinent si profondément dans l’esprit qu’elle est quelquefois pratiquée par les sauvages à l’égard des étrangers, même au prix d’un sacrifice ; mais on considère rarement comme un crime de mentir à son ennemi, ainsi que le prouve trop clairement l’histoire de la diplomatie moderne. Dès qu’une tribu a un chef reconnu, la désobéissance devient un crime et la soumission aveugle est regardée comme une vertu sacrée.

Aux époques barbares, aucun homme ne pouvait être utile ou fidèle à sa tribu s’il n’avait pas de courage, aussi cette qualité a-t-elle été universellement placée au rang le plus élevé ; et bien que, dans les pays civilisés, un homme bon, mais timide, puisse être beaucoup plus utile à la communauté qu’un homme brave, on ne peut s’empêcher d’honorer instinctivement l’homme brave plus que le poltron, si bienveillant que soit ce dernier. D’autre part, on n’a jamais beaucoup estimé la prudence, vertu fort utile cependant, mais qui n’influe guère sur le bien-être d’autrui. L’homme ne peut pratiquer les vertus nécessaires au bien-être de sa tribu, s’il n’est prêt à tous les sacrifices, s’il n’a aucun empire sur lui-même et s’il n’est doué de patience : ces qualités ont donc été de tout temps très hautement et très justement appréciées. Le sauvage américain se soumet volontairement, sans pousser un cri, aux tortures les plus atroces, pour prouver et pour augmenter sa force d’âme et son courage ; nous ne pouvons, d’ailleurs, nous empêcher de l’admirer, de même que nous admirons le fakir indien, qui, dans un but religieux insensé, se balance suspendu à un crochet planté dans ses chairs.

Les autres vertus individuelles qui n’affectent pas d’une manière apparente, bien qu’elles affectent très réellement peut-être, le bien-être de la tribu, n’ont jamais été appréciées par les sauvages, quoiqu’elles le soient actuellement et à juste titre par les nations civilisées. Chez les sauvages, la plus grande intempérance n’est pas un sujet de honte. Leur licence extrême, pour ne pas parler des crimes contre nature, est quelque chose d’effrayant[1]. Aussitôt, cependant, que le mariage, polygame ou monogame, vient à se répandre, la jalousie détermine le développement de certaines vertus chez la femme ; la chasteté, passant dans les mœurs, tend

  1. M. M’Lenan a cité beaucoup de faits de ce genre dans Primitive Marriage, 1875, p. 176.