Page:Darwin - La Descendance de l’homme, 1881.djvu/174

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restent dans la tribu. Or les éleveurs[1] ont constaté qu’en se servant, comme reproducteurs, des membres de la famille d’un animal qui, abattu, était supérieur comme bête de boucherie, les produits obtenus présentent les caractères désirés.


Étudions maintenant les facultés sociales et morales. Les hommes primitifs, ou nos ancêtres simio-humains, n’ont pu devenir sociables qu’après avoir acquis les sentiments instinctifs qui poussent certains autres animaux à vivre en société ; ils possédaient, sans aucun doute, ces mêmes dispositions générales. Ils devaient ressentir quelque chagrin lorsqu’ils étaient séparés de leurs camarades pour lesquels ils avaient de l’affection ; ils devaient s’avertir mutuellement du danger et s’entr’aider en cas d’attaque ou de défense. Ces sentiments impliquent un certain degré de sympathie, de fidélité et de courage. Personne ne peut contester l’importance qu’ont, pour les animaux inférieurs, ces diverses qualités sociales ; or il est probable que, de même que les animaux, les ancêtres de l’homme en sont redevables à la sélection naturelle jointe à l’habitude héréditaire. Lorsque deux tribus d’hommes primitifs, habitant un même pays, entraient en rivalité, il n’est pas douteux que, toutes autres circonstances étant égales, celle qui renfermait un plus grand nombre de membres courageux, sympathiques et fidèles, toujours prêts à s’avertir du danger, à s’entr’aider et à se défendre mutuellement, ait dû réussir plus complètement et l’emporter sur l’autre. La fidélité et le courage jouent, sans contredit, un rôle important dans les guerres que se font continuellement les sauvages. La supériorité qu’ont les soldats disciplinés sur les hordes qui ne le sont pas résulte surtout de la confiance que chaque homme repose dans ses camarades. L’obéissance, comme l’a démontré M. Bagehot[2], est une qualité importante entre toutes, car une forme de gouvernement, quelle qu’elle soit, vaut mieux que l’anarchie. La cohésion, sans laquelle rien n’est possible, fait défaut aux peuples égoïstes et querelleurs. Une tribu possédant, à un haut degré, les qualités dont nous venons de parler doit s’étendre et l’emporter sur les autres ; mais, à en juger par l’histoire du passé, elle doit, dans la suite des temps, succomber à son tour devant quelque autre tribu encore mieux douée qu’elle. Les qualités sociales et morales tendent ainsi à progresser lentement et à se propager dans le monde.

  1. J’ai donné des exemples dans la Variation, etc., II, p. 208.
  2. Voir une remarquable série d’articles sur la Physique et la Politique dans Fortnightly Review, nov. 1867, avril 1868, juillet 1869.