Page:Darwin - La Descendance de l’homme, 1881.djvu/180

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coup plus de chances de se marier et de laisser des enfants[1].

Dans tous les pays civilisés, l’homme accumule des richesses et les transmet à ses enfants. Il en résulte que les riches, indépendamment de toute supériorité corporelle ou mentale, possèdent de grands avantages sur les enfants pauvres quand ils commencent la lutte pour l’existence. D’autre part, les enfants de parents qui meurent jeunes, et qui, par conséquent, ont, en règle générale, une mauvaise santé et peu de vigueur, héritent plus tôt que les autres enfants ; il est probable aussi qu’ils se marient plus tôt et qu’ils laissent un plus grand nombre d’enfants qui héritent de leur faible constitution. Toutefois la transmission de la propriété est loin de constituer un mal absolu, car, sans l’accumulation des capitaux, les arts ne pourraient progresser ; or c’est principalement par l’action des arts que les races civilisées ont étendu et étendent aujourd’hui partout leur domaine, et arrivent ainsi à supplanter les races inférieures. L’accumulation modérée de la fortune ne porte, en outre, aucune atteinte à la marche de la sélection naturelle. Lorsqu’un homme pauvre devient modérément riche, ses enfants s’adonnent à des métiers et à des professions où la lutte est encore assez vive pour que les mieux doués au point de vue du corps et de l’esprit aient plus de chances de réussite. L’existence d’un groupe d’hommes instruits, qui ne sont pas obligés de gagner par le travail matériel leur pain quotidien, a une importance qu’on ne saurait exagérer ; car c’est à eux qu’incombe toute l’œuvre intellectuelle supérieure, origine immédiate des progrès matériels de toute nature, sans parler d’autres avantages d’un ordre plus élevé. La fortune, lorsqu’elle est considérable, tend sans doute à transformer l’homme en un fainéant inutile, mais le nombre de ces fainéants n’est jamais bien grand ; car, là aussi, l’élimination joue un certain rôle. Ne voyons-nous pas chaque jour, en effet, des riches insensés et prodigues dissiper tous leurs biens ?

Le droit de primogéniture avec majorats est un mal plus immédiat, bien qu’il ait pu autrefois être très avantageux, en ce sens qu’il a eu pour résultat la création d’une classe dominante, et que tout gouvernement vaut mieux que l’anarchie. Les fils aînés, qu’ils soient faibles de corps ou d’esprit, se marient ordinairement ; tandis que les cadets, quelque supérieurs qu’ils soient à tous les points de vue, ne se marient pas aussi facilement. Les fils aînés, quel que soit leur peu de valeur, héritant d’un majorat, ne peuvent

  1. Le professeur H. Fick a fait d’excellentes remarques à ce sujet et d’autres points analogues, Einfluss der Naturwissenschaft auf das Recht, juin 1872.