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conservé quelques traces de certaines habitudes barbares, telles que le rapt des femmes par exemple. Peut-on citer une seule nation ancienne, se demande le même auteur, qui, dans le principe, ait pratiqué la monogamie ? L’idée primitive de la justice, c’est-à-dire la loi du combat et les autres coutumes dont il subsiste encore des traces, était également très grossière. Un grand nombre de nos superstitions représentent les restes d’anciennes croyances religieuses erronées. La forme religieuse la plus élevée, — l’idée d’un Dieu abhorrant le péché et aimant la justice, — était inconnue dans les temps primitifs.

Passons à un autre genre de preuves : sir J. Lubbock a démontré que quelques sauvages ont récemment réalisé certains progrès dans quelques-uns de leurs simples arts. L’exposé très curieux qu’il fait des armes, des outils employés et des arts pratiqués par les sauvages dans les diverses parties du monde, tend à prouver que presque toutes les découvertes ont été indépendantes, sauf peut-être l’art de faire le feu[1]. Le boomerang australien est un excellent exemple d’une découverte indépendante. Les Tahitiens, lorsqu’on les visita pour la première fois, étaient déjà, sous plusieurs rapports, plus avancés que les habitants de la plupart des autres îles Polynésiennes. Il n’y a pas de raisons pour croire que la haute culture des Péruviens et des Mexicains indigènes dût provenir d’une source étrangère[2] ; ces peuples cultivaient, en effet, plusieurs plantes indigènes et avaient réduit en domesticité quelques animaux du pays. Un équipage venant d’un pays à demi civilisé, naufragé sur les côtes de l’Amérique, n’aurait pas, si on en juge d’après le peu d’influence qu’exercent la plupart des missionnaires, produit d’effet marqué sur les indigènes, à moins que ceux-ci ne fussent déjà quelque peu civilisés. Si nous remontons à une période très reculée de l’histoire du monde, nous trouvons, pour nous servir des expressions si bien connues de sir J. Lubbock, une période paléolithique et une période néolithique ; or personne ne saurait prétendre que l’art de polir les outils grossiers en silex taillé ne soit une découverte indépendante. Dans toutes les parties de l’Europe jusqu’en Grèce, en Palestine, dans l’Inde, au Japon, dans la Nouvelle-Zélande et en Afrique, l’Égypte comprise, on a découvert de nombreux instruments en silex et les habitants actuels n’ont conservé aucune tradition à cet égard. Les Chinois et les an-

  1. Sir J. Lubbock, Prehistoric Times, 2e  édit., 1869, chap. xv et xvi et passim, Voir aussi Tylor, Early History of Mankind, chap. ix.
  2. Le Dr F. Müller a fait quelques excellentes remarques à ce sujet dans le Voyage de la Novara, partie Anthropologique, partie III, 1868, p. 127.