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de plusieurs espèces distinctes, aussi dissemblables l’une de l’autre que l’Orang l’est du Gorille, il n’est pas douteux que l’on pourrait encore constater chez l’homme, tel qu’il existe aujourd’hui, des différences sensibles dans la conformation de certains os.

Les races humaines actuelles présentent à plusieurs égards de nombreuses différences ; ainsi, par exemple, la couleur, les cheveux, la forme du crâne, les proportions du corps, etc., offrent d’infinies variations ; cependant, si on les considère au point de vue de l’ensemble de l’organisation, on trouve qu’elles se ressemblent de près par une multitude de points. Un grand nombre de ces points sont si insignifiants ou de nature si singulière qu’il est difficile de supposer qu’ils aient été acquis d’une manière indépendante par des espèces ou par des races primitivement distinctes. La même remarque s’applique avec plus de force encore, quand il s’agit des nombreux points de ressemblance mentale qui existent entre les races humaines les plus distinctes. Les indigènes américains, les nègres et les Européens, ont des qualités intellectuelles aussi différentes que trois autres races quelconques qu’on pourrait nommer ; cependant, tandis que je vivais avec des Fuégiens, à bord du Beagle, j’observai chez ces derniers de nombreux petits traits de caractère, qui prouvaient combien leur esprit est semblable au nôtre ; je fis la même remarque relativement à un nègre pur sang avec lequel j’ai été autrefois très lié.

Quiconque lit avec soin les intéressants ouvrages de M. Tylor et de sir J. Lubbock[1] ne peut manquer de remarquer la ressemblance qui existe entre les hommes appartenant à toutes les races, relativement aux goûts, au caractère et aux habitudes. C’est ce que prouve le plaisir qu’ils prennent tous à danser, à exécuter une musique grossière, à se peindre, à se tatouer, ou à s’orner de toutes les façons ; c’est ce que prouve aussi le langage par gestes qu’ils comprennent tous, la similitude d’expression de leurs traits, les mêmes cris inarticulés, qu’excitent chez eux les mêmes émotions. Cette similitude, ou plutôt cette identité, est frappante, si on l’oppose à la différence des cris et des expressions qu’on observe chez les espèces distinctes des singes. Il est facile de prouver que l’ancêtre commun de l’humanité n’a pas transmis à ses descendants l’art du tir avec l’arc et les flèches ; cependant, les pointes de flèches en pierre, provenant des parties du globe les plus éloignées les unes des autres, et fabriquées aux époques les plus reculées, sont

  1. Tylor, Early History of Mankind, 1865. Pour preuves relatives au langage par gestes, voir Lubbock, Prehistoric Times, p. 54, 2e édit., 1860.