Page:Darwin - La Descendance de l’homme, 1881.djvu/235

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L’Europe, il y a quelques siècles, redoutait les incursions des barbares de l’Orient ; une pareille terreur serait aujourd’hui ridicule. Il est un fait plus curieux qu’a remarqué M. Bagehot, c’est que les sauvages ne disparaissaient pas devant les peuples de l’antiquité comme ils le font actuellement devant les peuples modernes civilisés ; s’il en avait été ainsi, les vieux moralistes n’auraient pas manqué de méditer cette question, mais on ne trouve, dans aucun auteur de cette période, aucune remarque sur l’extinction des peuples barbares[1].

Les causes d’extinction les plus énergiques semblent être, dans bien des cas, l’amoindrissement de la fécondité et l’état maladif des enfants ; ces deux causes résultent du changement des conditions d’existence, bien que les nouvelles conditions n’aient en elles-mêmes rien de nuisible. M. H.-H. Howorth a bien voulu appeler mon attention sur ce point et me fournir de nombreux renseignements. Il convient de citer quelques exemples à cet égard.

Au moment de la colonisation de la Tasmanie, certains voyageurs estimaient à 7,000, d’autres à 20,000, le nombre des indigènes. En tout cas, et quel qu’ait pu être le chiffre de la population, le nombre des indigènes diminua bientôt, en conséquence de luttes perpétuelles, soit avec les Anglais, soit les uns avec les autres. Après la fameuse chasse au sauvage à laquelle prirent part tous les colons, il ne restait plus que 120 Tasmaniens qui firent leur soumission entre les mains des autorités anglaises et à qui on voulut bien accorder la vie[2]. En 1832, on transporta ces 120 individus dans l’île Flinders. Cette île située entre la Tasmanie et l’Australie a 64 kilomètres de longueur sur une largeur qui varie entre 19 et 22 kilomètres ; le climat est sain et les nouveaux habitants furent bien traités. Quoi qu’il en soit, leur santé reçut une rude atteinte. En 1834, on comptait (Bonwick, p. 250) 47 hommes adultes, 48 femmes adultes, et 16 enfants ; en tout 111 individus ; en 1835, ils n’étaient plus que 100. Comme ils continuaient à diminuer rapidement en nombre et qu’ils étaient persuadés qu’ils ne mourraient pas si rapidement dans une autre localité, on les transporta, en 1847, dans la baie d’Oyster, située dans la partie méridionale de la Tasmanie. La peuplade se composait alors, 20 décembre 1847, de 14 hommes, 22 femmes et 10 enfants[3]. Ce changement de ré-

  1. Bagehot, Physics and Politics ; Fortnightly Review, 1er avril 1868, p. 455.
  2. J’emprunte tous ces détails à l’ouvrage de J. Bonwick, The last of the Tasmanians, 1870.
  3. Ces chiffres sont empruntés au rapport du gouverneur de la Tasmanie, sir W. Denison, Varieties of Vice-Regal Life, 1870, vol. I. p. 67.