Page:Darwin - La Descendance de l’homme, 1881.djvu/316

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filles. La première mère, pour se conformer aux usages de la tribu, détruit quatre filles et en conserve deux ; la seconde conserve ses six fils ; la troisième conserve ses trois fils, mais tue deux filles et n’en conserve qu’une. Les trois familles se composeront donc de neuf garçons et de trois filles pour perpétuer la race. Mais, tandis que les fils appartiennent à des familles chez lesquelles la tendance à produire des mâles est considérable, les filles appartiennent à des familles qui ont une tendance contraire. Les coutumes de la tribu tendront donc à augmenter cette tendance à chaque génération, de sorte que nous pourrons constater, comme nous le faisons aujourd’hui, que les familles élèvent habituellement plus de garçons que de filles. »

Il est presque certain que la forme d’infanticide dont nous venons de parler doit amener ce résultat, si nous supposons que la tendance à produire un certain sexe soit héréditaire. Mais les chiffres que je viens de citer sont si faibles qu’on ne saurait en tirer aucune conclusion ; j’ai donc cherché d’autres témoignages ; je ne saurais dire si ceux que j’ai trouvés sont dignes de foi ; il m’a semblé en tous cas qu’il était utile de citer les faits que j’ai recueillis.

Les Maories de la Nouvelle-Zélande ont longtemps pratiqué l’infanticide ; M. Fenton[1] affirme qu’il a rencontré « des femmes qui ont détruit quatre, six et même sept enfants, la plupart des filles. Toutefois le témoignage universel de ceux qui sont à même de se former une opinion correcte prouve que cette coutume a cessé d’exister depuis bien des années, probablement depuis l’année 1833. » Or, chez les Nouveaux-Zélandais comme chez les Todas, les naissances de garçons sont considérablement en excès. M. Fenton ajoute (p. 30) : « Bien qu’on ne puisse fixer pertinemment l’époque exacte du commencement de cette singulière condition de la disproportion des sexes, on peut affirmer que l’excès du sexe mâle sur le sexe femelle était en pleine opération pendant la période qui s’est écoulée entre 1830 et 1844, et s’est continuée avec beaucoup d’énergie jusqu’au temps actuel. » J’emprunte les renseignements suivants à M. Fenton (p. 26), mais, comme les nombres ne sont pas considérables et que le recensement n’a pas été fait très-exactement, on ne peut s’attendre à des résultats uniformes. Je dois rappeler tout d’abord, dans ce cas et dans les cas suivants, que l’état normal de la population, au moins dans tous les pays civilisés, comporte un excès de femmes à cause de la plus grande mortalité des enfants mâles pendant la jeunesse et des plus nombreux accidents

  1. Aboriginal Inhabitants of New Zeland ; Government report, 1859, p. 36.