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Un recensement de toutes les îles fait, en 1850[1], indique 36,272 hommes et 33,128 femmes de tout âge, soit dans la proportion de 109,49 mâles pour 100 femelles. Le nombre des garçons au-dessous de 17 ans s’élevait à 10,773 et celui des filles au-dessous du même âge à 9,593, soit 112,3 mâles pour 100 femelles. D’après le recensement de 1872, la proportion des mâles de tout âge, y compris les demi-castes, aux femelles est comme 125,36 est à 100. Il importe de remarquer que tous ces recensements pour les îles Sandwich indiquent la proportion des hommes vivants aux femmes vivantes et non pas celle des naissances. Or, s’il faut en juger d’après les pays civilisés, la proportion des mâles aurait été beaucoup plus considérable si les chiffres avaient porté sur les naissances[2].

Les faits qui précèdent nous autorisent presque à conclure que l’infanticide, pratiqué dans les conditions que nous venons d’expliquer, tend à amener la formation d’une race produisant principalement des enfants mâles. Mais je suis loin de supposer que cette

  1. Rev. H. T. Cheever, Life in the Sandwich Islands, 1851, p. 277.
  2. Le Dr Coulter en décrivant (Journal R. Geographical Soc., vol. v, 1835, p. 67) l’État de la Californie vers l’année 1830, affirme que presque tous les indigènes convertis par les missionnaires espagnols ont péri ou sont sur le point de périr, bien qu’ils reçoivent de bons traitements, qu’ils ne soient pas chassés de leur pays natal et qu’on ne leur permette pas l’usage des spiritueux. Le Dr Coulter attribue en grande partie cette mortalité au fait que les hommes sont beaucoup plus nombreux que les femmes ; mais il ne dit pas si cet excès des hommes provient du manque de filles ou de ce que plus de filles meurent pendant la jeunesse. Si l’on en juge par analogie, cette dernière alternative est très-peu probable. Il ajoute que « l’infanticide proprement dit n’est pas commun, mais que les indigènes pratiquent souvent l’avortement ». Si le Dr Coulter est bien renseigné à propos de l’infanticide, on ne peut citer ce cas à l’appui de l’hypothèse du colonel Marshall. Nous sommes disposés à croire que la diminution rapide du nombre des indigènes convertis provient, comme dans les cas que nous avons précédemment cités, de ce que le changement des habitudes d’existence a diminué leur fécondité.

    J’espérais que l’élevage des chiens me fournirait quelques renseignements sur la question qui nous occupe, car, à l’exception peut-être des lévriers, on détruit ordinairement beaucoup plus de femelles que de mâles comme cela arrive chez les Todas. M. Cupples m’affirme qu’en effet on détruit beaucoup de femelles chez le chien courant écossais. Malheureusement je n’ai pu me procurer des renseignements exacts sur la proportion des sexes chez aucune race à l’exception des lévriers, et, chez ces derniers, les naissances mâles sont aux naissances femelles comme 110,1 est à 100. Les renseignements que j’ai pris auprès de beaucoup d’éleveurs me permettent de conclure que les femelles sont, à beaucoup d’égards, plus estimées que les mâles ; en outre, il est certain qu’on ne détruit pas systématiquement plus de mâles que de femelles chez les races les plus estimées. En conséquence, je ne saurais dire s’il faut attribuer au principe que je cherche à établir l’excès des naissances mâles chez les lévriers. D’autre part, nous avons vu que, chez les chevaux, les bestiaux et les moutons, les petits de l’un ou de l’autre sexe ont trop de valeur pour qu’on les détruise ; et, si l’on peut constater une différence chez ces races, il semble que les femelles soient légèrement en excès.