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ceptionnel très-curieux[1], car la femelle est beaucoup plus brillamment colorée et tachetée que le mâle, et possède seule un sac marsupial pour l’incubation des œufs ; le Solenostoma femelle diffère donc sous ce dernier rapport de tous les autres Lophobranches et de presque tous les autres poissons, en ce qu’elle affecte des couleurs plus brillantes que le mâle. Il est peu probable que cette double inversion de caractère si remarquable chez la femelle soit une coïncidence accidentelle. Comme plusieurs poissons mâles qui s’occupent exclusivement des soins à donner aux œufs et aux jeunes sont plus brillamment colorés que les femelles, et qu’au contraire le Solenostoma femelle, chargée de ces fonctions, est plus belle que le mâle, on pourrait en conclure que les belles couleurs des individus appartenant au sexe le plus nécessaire aux besoins des jeunes, doivent, en quelque manière, servir à les protéger. Mais on ne saurait soutenir cette hypothèse, quand on considère la multitude de poissons dont les mâles sont, périodiquement ou d’une manière permanente, plus brillants que les femelles, sans que leur existence soit, plus que celle de ces dernières, importante pour la durée de l’espèce. Nous rencontrerons, en traitant des oiseaux, des cas analogues où les attributs usuels des deux sexes sont complètement intervertis ; nous donnerons alors ce qui nous semble être l’explication la plus probable de ces exceptions, c’est-à-dire que, contrairement à la règle générale qui veut que, dans le règne animal, les femelles choisissent les mâles les plus attrayants, ce sont dans ces cas les mâles qui choisissent les femelles les plus séduisantes.

En résumé, chez la plupart des poissons, quand la couleur ou les autres caractères d’ornementation diffèrent chez les mâles et les femelles, nous pouvons conclure que les mâles ont primitivement subi des variations ; que ces variations sont devenues héréditaires chez le même sexe, et que, par suite de l’attraction qu’elles exercent sur les femelles, ces variations se sont accumulées à l’aide de la sélection sexuelle. Ces caractères ont été cependant dans bien des cas transmis partiellement ou totalement aux femelles. Dans d’autres cas encore, les deux sexes ont acquis une coloration semblable comme moyen de sécurité ; mais il ne semble pas y avoir d’exemple que les couleurs ou que les autres caractères de la femelle seule se soient spécialement modifiés dans ce but.

Un dernier point reste à considérer : on a observé, dans diverses

  1. Le docteur Günther, depuis qu’il a publié la description de cette espèce dans Fishes of Zanzibar, du col. Playfair, 1866, p. 137, a examiné à nouveau ces individus, et m’a donné les informations que je viens de relater.