Page:Darwin - La Descendance de l’homme, 1881.djvu/49

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certains poissons, les requins par exemple. Elle est assez bien développée dans les deux divisions inférieures de la série des mammifères, les Monotrèmes et les Marsupiaux, ainsi que chez quelques Mammifères plus élevés, comme le morse. Mais, chez l’homme, les quadrumanes et la plupart des autres mammifères, elle existe, ainsi que l’admettent tous les anatomistes, sous la forme d’un simple rudiment, dit le pli semi-lunaire[1].

Le sens de l’odorat a, pour la plupart des mammifères, une très haute importance : il avertit les uns du danger, comme les ruminants ; il permet à d’autres, comme les carnivores, de découvrir leur proie ; à d’autres enfin, comme le sanglier, il sert à l’un et à l’autre usage. Mais l’odorat ne rend que très peu de services à l’homme, même aux races à peau de couleur, chez lesquelles il est généralement plus développé que chez les races civilisées[2]. Il ne les avertit pas du danger et ne les guide pas vers leur nourriture ; il n’empêche pas les Esquimaux de dormir dans une atmosphère fétide, ni beaucoup de sauvages de manger de la viande à moitié pourrie. Un éminent naturaliste, chez lequel ce sens est très parfait et qui a longuement étudié cette question, m’affirme que, chez les Européens, cette faculté comporte des états bien différents selon les individus. Ceux qui croient au principe de l’évolution graduelle n’admettent pas aisément que ce sens, tel qu’il existe aujourd’hui, ait été originellement acquis par l’homme dans son état actuel. L’homme doit sans doute cette faculté affaiblie et rudimentaire à quelque ancêtre reculé, auquel elle était extrêmement utile et qui en faisait un fréquent usage. Le Dr Maudsley[3] fait remarquer avec beaucoup de raison que le sens de l’odorat chez l’homme est « remarquablement propre à lui rappeler vivement l’idée et l’image de scènes et de lieux oubliés » ; peut-être

  1. Muller, Manuel de physiologie (trad. Française), 1845, vol. II, p ; 307. Owen, Anat. of Vertebrates, vol. III, p. 260. Id., On the Walrus (morse), Proc. Zool. Soc., nov. 1854. R. Knox, Great artists and anatomists, p. 106. Ce rudiment paraît être quelque peu plus marqué chez les Nègres et chez les Australiens que chez les Européens. C. Vogt, Leçons sur l’homme (trad. française), p. 167.
  2. On connait la description que fait Humboldt du merveilleux odorat que possèdent les indigènes de l’Amérique méridionale ; ces assertions ont été confirmées par d’autres voyageurs. M. Mouzeau, (Études sur les facultés mentales, etc., vol. I, 1872, p. 91), affirme que de nombreuses expériences l’ont conduit à la conclusion que les nègres et les Indiens peuvent reconnaître les personnes à leur odeur dans l’obscurité la plus complète. Le Dr W. Ogle a fait de curieuses observations sur les rapports qui existent entre la faculté d’odorat et la matière colorante de la membrane muqueuse du nez, ainsi que de la peau du corps, C’est ce qui me permet de dire que les races colorées ont l’odorat plus développé que les races blanches. Voir son mémoire, Medico-chirurgical Transactions, Londres, 1870, vol. LIII, p. 276.
  3. The Physiology and Pathology of Mind, 2e édit., 1868, p. 184.