Page:Darwin - La Descendance de l’homme, 1881.djvu/564

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ensuite transmises aux femelles et aux jeunes. Il est toutefois possible que les mâles aient choisi les femelles les plus attrayantes ; si ces dernières ont transmis leurs caractères à leurs descendants des deux sexes, il a dû en résulter les mêmes conséquences que celles qu’entraîne la sélection par les femelles des mâles les plus séduisants. Mais il y a quelques preuves que cette éventualité, si elle s’est jamais présentée, a dû être fort rare dans les groupes d’oiseaux où les sexes sont ordinairement semblables ; car, en admettant que quelques variations successives, en quelque petit nombre que ce soit, n’aient pas été transmises aux deux sexes, les femelles auraient un peu excédé les mâles en beauté. C’est précisément le contraire qui arrive dans la nature ; car, dans presque tous les groupes considérables dans lesquels les sexes se ressemblent d’une manière générale, il se trouve quelques espèces où les mâles ont une coloration légèrement plus vive que celle des femelles. Il est possible encore que les femelles aient fait choix des plus beaux mâles, et que ceux-ci aient réciproquement choisi les plus belles femelles ; mais il est douteux que cette double marche de sélection ait pu se réaliser, par suite de l’ardeur plus grande dont fait preuve l’un des sexes ; il est d’ailleurs douteux aussi qu’elle eût pu être plus efficace qu’une sélection unilatérale seule. L’opinion la plus probable est donc que, dans la classe dont nous nous occupons, la sélection sexuelle, en ce qui se rattache aux caractères d’ornementation, a, conformément à la règle générale dans le règne animal, exercé son action sur les mâles, lesquels ont transmis leurs couleurs graduellement acquises, soit également, soit presque également à leur descendance des deux sexes.

Un autre point encore plus douteux est celui de savoir si les variations successives ont surgi d’abord chez les mâles au moment où ils atteignaient l’âge adulte, ou pendant leur jeune âge ; mais, en tous cas, la sélection sexuelle ne peut avoir agi sur le mâle que lorsqu’il a eu à lutter contre des rivaux pour s’assurer la possession de la femelle ; or, dans les deux cas, les caractères ainsi acquis ont été transmis aux deux sexes et à tout âge. Mais, acquis par les mâles à l’état adulte, et d’abord transmis aux adultes seulement, ces caractères ont pu, à une époque ultérieure, être transmis aussi aux jeunes individus. On sait, en effet, que, lorsque la loi d’hérédité aux âges correspondants fait défaut, le jeune hérite souvent de certains caractères à un âge plus précoce que celui auquel ils ont d’abord surgi chez les parents[1]. On a observé des cas de ce genre chez des oiseaux à l’état de nature. M. Blyth, par exemple, a vu des Lanius rufus et des Colymbus glacialis qui, pendant leur jeunesse, avaient très-anormalement revêtu le plumage adulte de leurs parents[2]. Les jeunes du cygne commun (Cygnus olor) ne dépouillent leurs plumes foncées et ne deviennent blancs qu’à dix-huit mois ou deux ans ; or le docteur Forel a décrit le cas de trois jeunes oiseaux vigoureux, qui, sur une couvée de quatre, étaient blanc pur en naissant. Ces jeunes cygnes n’étaient pas des albinos, car la couleur du bec et des pattes de ces oiseaux se rapprochait beaucoup de celle des mêmes parties chez les adultes[3].

  1. Variation, etc., vol. II, p. 84.
  2. Charlesworth, Mag. of Nat. Hist., vol. I, 1837, p. 303-306.
  3. Bulletin de la Soc. vaudoise des sc. nat., vol. X, 1869, p. 132 ; les jeunes