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Chez l’Aithurus polytmus (oiseau-mouche), le mâle est magnifiquement coloré noir et vert, et porte deux rectrices qui sont énormément allongées ; la femelle a une queue ordinaire et des couleurs peu apparentes ; or, au lieu de ressembler à la femelle adulte, conformément à la règle habituelle, les jeunes mâles commencent dès leur naissance à revêtir les couleurs propres à leur sexe et leurs rectrices ne tardent pas à s’allonger. Je dois ces renseignements à M. Gould, qui m’a communiqué le cas encore plus frappant que voici, cas qui n’a pas encore été publié. Deux oiseaux-mouches appartenant au genre Eustephanus, habitent la petite île de Juan-Fernandez ; tous deux sont magnifiques de coloration et ont toujours été considérés comme spécifiquement distincts. Mais on s’est récemment assuré que l’un, d’une couleur brun marron fort riche, avec la tête rouge dorée, est le mâle, tandis que l’autre, qui est élégamment panaché de vert et de blanc et a la tête d’un vert métallique, est la femelle. Or, tout d’abord, les jeunes présentent, jusqu’à un certain point, avec les adultes du sexe correspondant, une ressemblance qui augmente peu à peu et finit par devenir complète.

Si nous considérons ce dernier cas, en nous guidant comme nous l’avons fait jusqu’à présent sur le plumage des jeunes, il semblerait que les deux sexes se sont embellis d’une façon indépendante, et non par transmission partielle de la beauté de l’un des sexes à l’autre. Le mâle a, selon toute apparence, acquis ses vives couleurs par l’influence de la sélection sexuelle, comme le paon ou le faisan dans notre première classe de cas ; et la femelle, comme celle du Rhynchæa ou du Turnix dans la seconde classe. Mais il est fort difficile de comprendre comment ce résultat a pu se produire en même temps chez les deux sexes de la même espèce. Comme nous l’avons vu dans le huitième chapitre, M. Salvin constate que, chez certains oiseaux-mouches, le nombre des mâles excède de beaucoup celui des femelles, tandis que dans d’autres espèces habitant le même pays, ce sont les femelles qui sont en nombre plus considérable que les mâles. Or nous pourrions supposer que, pendant une longue période antérieure, les mâles des espèces de l’île Juan-Fernandez ont de beaucoup excédé les femelles, et que, pendant une autre longue période, ce sont les femelles qui ont été plus abondantes que les mâles ; nous pourrions, dans ce cas, comprendre comment il se fait que les mâles à un moment, et les femelles à un autre, aient pu s’embellir par la sélection des individus les plus vivement colorés de chaque sexe ; les individus des deux sexes auraient, en outre, transmis leurs caractères à leurs jeunes, à un âge un peu plus précoce qu’à l’ordinaire. Je n’ai nullement la prétention de soutenir que cette explication soit la vraie, mais le cas était trop remarquable pour n’être pas signalé.


Les nombreux exemples que nous avons cités, dans chacune des six classes, nous autorisent à conclure qu’il existe d’intimes rapports entre le plumage des jeunes et celui des adultes, tant d’un sexe que des deux sexes. Le principe qu’un sexe — qui, dans la

    (Saxicola rubicola) peuvent se distinguer de très-bonne heure. M. Salvin (Proc. Zool. Soc., 1870, p. 206), cite le cas d’un oiseau-mouche analogue à celui de l’Eustephanus.