Page:Darwin - La Descendance de l’homme, 1881.djvu/680

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sieurs espèces américaines, et chaque famille vit à part. Même dans ce cas, les familles qui habitent le même district ont probablement quelques rapports sociaux ; on rencontre quelquefois, par exemple, de grandes troupes de Chimpanzés. D’autres espèces sont polygames, et plusieurs mâles, ayant chacun leurs femelles, vivent associés en tribus ; c’est le cas de plusieurs espèces de Babouins[1]. Nous pouvons même conclure de ce que nous savons de la jalousie de tous les mammifères mâles, qui sont presque tous armés de façon à pouvoir lutter avec leurs rivaux, qu’à l’état de nature la promiscuité est chose extrêmement improbable. Il se peut que l’accouplement ne se fasse pas pour la vie entière, mais seulement pour le temps d’une portée ; cependant si les mâles les plus forts et les plus capables de protéger ou d’assister leurs femelles et leurs petits, choisissent les femelles les plus attrayantes, ceci suffit pour déterminer l’action de la sélection sexuelle.

Par conséquent, si nous remontons assez haut dans le cours des temps, et à en juger par les habitudes sociales de l’homme actuel, l’opinion la plus probable est que l’homme primitif a originellement vécu en petites communautés, chaque mâle avec une seule femme, et, s’il était puissant et fort, avec plusieurs femmes qu’il devait défendre avec jalousie contre tout autre homme. Ou bien, l’homme n’était pas un animal sociable et il peut avoir vécu seul avec plusieurs femmes, comme le Gorille, au sujet duquel les indigènes s’accordent à dire « qu’on ne voit jamais qu’un mâle adulte dans la bande, et que lorsqu’un jeune mâle s’est développé, il y a lutte pour le pouvoir ; le plus fort, après avoir tué ou chassé les autres, se met à la tête de la communauté[2]. » Les jeunes mâles, ainsi expulsés et errants, réussissent à la fin à trouver une compagne, ce qui évite ainsi des entre-croisements trop rapprochés dans les limites de la même famille.

Bien que les sauvages soient actuellement très-licencieux et que la promiscuité ait pu autrefois régner sur une vaste échelle, il existe cependant chez quelques tribus certaines formes de mariage, mais de nature bien plus relâchée que chez les nations civilisées. La polygamie est presque toujours habituelle chez les chefs de tribu. Il y a, néanmoins, des peuples qui sont strictement monogames, bien qu’ils occupent le bas de l’échelle. C’est le cas des Veddahs

  1. Brehm (Illustr. Thierleben, I, p. 77) dit que le Cynocephalus hamadryas vit en grandes troupes contenant deux fois autant de femelles que de mâles adultes. Voy. Rengger, sur les espèces polygames américaines, et Owen (Anat. of Vert., III, p. 746), sur les espèces monogames du pays.
  2. Docteur Savage, Boston Journ. Nat. Hist., v, p. 423, 1845-47.