Page:Darwin - La Descendance de l’homme, 1881.djvu/686

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d’une race de luxe, on remarque, lorsque les termes de comparaison existent, qu’elle a éprouvé plus ou moins de changements après un certain nombre de générations. Ces changements résultent d’une sélection inconsciente poursuivie pendant une longue série d’années, c’est-à-dire de la conservation des individus les plus beaux, sans que l’éleveur ait désiré ou attendu un pareil résultat. Ou encore, si deux éleveurs attentifs élèvent pendant de longues années des animaux appartenant à une même famille sans les comparer à un étalon commun ou sans les comparer les uns aux autres, ils s’aperçoivent, à leur grande surprise, que ces animaux, après un certain laps de temps, sont devenus un peu différents[1]. Chaque éleveur, comme le dit si bien Nathusius, imprime à ses animaux le caractère de son esprit, de son goût et de son jugement. Quelle raison pourrait-on donc invoquer pour soutenir que la sélection des femmes les plus admirées, par les hommes capables d’élever dans chaque tribu le plus grand nombre d’enfants, sélection continuée pendant longtemps, n’aurait pas des résultats analogues ? Ce serait une sélection inconsciente, car elle produirait un effet inattendu, indépendant de toute intention, de la part des hommes qui auraient manifesté une préférence pour certaines femmes.

Supposons que les individus d’une tribu dans laquelle existe une forme de mariage quelconque, se répandent sur un continent inoccupé : ils ne tarderont pas à se fractionner en hordes distinctes, séparées de diverses façons, et surtout par les guerres continuelles que se livrent toutes les nations barbares. Ces hordes, dont les habitudes se modifieront selon les conditions dans lesquelles elles se trouveront placées, finiront tôt ou tard par différer quelque peu entre elles. Chaque tribu isolée se constituerait alors un idéal de beauté un peu différent[2] ; puis, par le fait que les hommes les plus forts et les plus influents finiront par manifester des préférences pour certaines femmes, la sélection inconsciente entrerait en jeu. Ainsi les différences entre les tribus, d’abord fort légères, s’augmenteront graduellement et inévitablement.

À l’état de nature, la loi du combat a amené, chez les animaux, le développement de bien des caractères propres aux mâles, tels que la taille, la force, les armes particulières, le courage et les dispositions belliqueuses. Cette même cause a sans doute produit des

  1. De la Variation, etc., II.
  2. Un auteur ingénieux conclut, après avoir comparé les tableaux de Raphaël, ceux de Rubens, et ceux des artistes français modernes, que l’idée de la beauté n’est pas absolument la même dans toute l’Europe : voir les Vies de Haydn et de Mozart, par M. Bombet.