Page:Darwin - La Descendance de l’homme, 1881.djvu/693

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

loppées chez les deux sexes de beaucoup d’espèces ; chez d’autres pourtant elles sont ou circonscrites aux mâles seuls, ou plus développées chez eux que chez les femelles. Ce fait, ainsi que le singulier arrangement et les vives couleurs des cheveux d’un grand nombre de singes, donnent à penser que les mâles ont d’abord acquis leurs barbes par sélection sexuelle et comme ornement, et qu’ils les ont ordinairement transmises à un degré égal ou presque égal à leurs descendants des deux sexes. Nous savons par Eschricht[1] que le fœtus humain des deux sexes porte beaucoup de poils sur le visage, surtout autour de la bouche, ce qui indique que nous descendons d’ancêtres chez lesquels les deux sexes étaient barbus. Il paraît donc à première vue probable que, tandis que l’homme a conservé sa barbe depuis une période fort éloignée, la femme l’a perdue lorsque son corps s’est presque entièrement dépouillé de ses poils. La couleur même de la barbe dans l’espèce humaine paraît provenir par héritage de quelque ancêtre simien ; car, lorsqu’il y a une différence de teinte entre les cheveux et la barbe, cette dernière est, chez tous les singes et chez l’homme, de nuance plus claire.

Chez les Quadrumanes, alors que le mâle a une barbe plus forte que celle de la femelle, elle ne se développe qu’à l’âge mûr ; et les dernières phases du développement peuvent avoir été exclusivement transmises à l’humanité. Contrairement à cette hypothèse, on peut invoquer la grande variabilité de la barbe chez des races différentes, et, même dans les limites d’une seule race, ceci indique en effet l’influence d’un retour, car les caractères depuis longtemps perdus sont très-aptes à varier quand ils réapparaissent.

Quoi qu’il en soit, il ne faut pas méconnaître le rôle que la sélection sexuelle peut avoir joué, même dans des temps plus récents ; car nous savons que, chez les sauvages, les races sans barbe se donnent une peine infinie pour arracher, comme quelque chose d’odieux, les poils qu’ils peuvent avoir sur le visage ; tandis que les hommes des races barbues sont tout fiers de leurs barbes. Les femmes partagent sans doute ces sentiments, et, par conséquent, la sélection sexuelle ne peut manquer d’avoir produit quelques effets dans des temps plus récents[2]. Il est possible aussi que l’habitude d’arracher les poils, habitude continuée pendant de longues générations, ait produit un effet héréditaire. Le docteur Brown-Séquard a démontré que, si on, fait subir certaines opérations à di-

  1. Ueber die Richtung der Haare am menschlichen Körper, dans Müller’s Archiv für Anat. und Phys., p. 40, 1837.
  2. Sur les rectrices du Momotus, Proc. Zool. Soc., 1873, p. 429.