Page:Darwin - La Descendance de l’homme, 1881.djvu/83

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pu avoir la sélection naturelle a élu de douer le sauvage d’un cerveau un peu supérieur à celui du singe. »

Bien que la puissance intellectuelle et les habitudes sociales de l’homme aient pour lui une importance fondamentale, nous ne devons pas méconnaître l’importance de sa conformation corporelle, point auquel nous consacrerons le reste de ce chapitre. Nous discuterons, dans un chapitre suivant, le développement de ses facultés intellectuelles, sociales et morales.

Quiconque sait un peu de menuiserie admet qu’il n’est pas facile de manier le marteau avec précision. Jeter une pierre avec la justesse dont un Fuégien est capable, soit pour se défendre, soit pour tuer des oiseaux, exige la perfection la plus consommée dans l’action combinée des muscles de la main, du bras et de l’épaule, sans parler d’un sens tactile assez fin. Pour lancer une pierre ou une lance, et pour beaucoup d’autres actes, l’homme doit être ferme sur ses pieds, ce qui exige encore la coadaptation parfaite d’une foule de muscles. Pour tailler un silex et en faire l’outil le plus grossier, ou pour façonner un os en crochet ou en hameçon, il faut une main parfaite ; car, ainsi que le fait remarquer un juge des plus compétents, M. Schoolcraft[1], l’art de transformer des fragments de pierre en couteaux, en lances ou en pointes de flèche, dénote « une habileté extrême et une longue pratique ». Le fait que les hommes primitifs pratiquaient la division du travail le prouve surabondamment ; chaque homme ne confectionnait pas ses outils en silex ou sa poterie grossière, mais il paraît que certains individus se vouaient à ce genre de travaux et recevaient, sans doute, en échange, quelques produits de la chasse. Les archéologues affirment qu’un énorme laps de temps s’est écoulé avant que nos ancêtres aient songé à user la surface des silex éclatés pour en faire des outils polis. Un animal ressemblant à l’homme, pourvu d’une main et d’un bras assez parfaits pour jeter une pierre avec justesse, ou pour transformer un silex en un outil grossier, pourrait, sans aucun

    que je cite dans le texte surprendra tous ceux qui ont lu le travail célèbre de M. Wallace sur l’Origine des Races humaines, déduite de la Théorie de la sélection naturelle, publiée primitivement dans Anthropological Review, mai 1864, p. CLVIII. Je ne puis m’empêcher de citer une remarque très juste faite par sir J. Lubbock sur ce travail (Prehistoric Times, 1865, p. 479), à savoir que M. Wallace, « avec un désintéressement caractéristique, attribue l’idée de la sélection naturelle exclusivement à M. Darwin, bien que, comme on le sait, il l’ait émise d’une manière indépendante et publiée en même temps, mais, d’une manière moins complète. »

  1. Cité par M. Lawson Tait. Laws of natural selection, Dublin Quarterly Journal of Medical Science, février 1869. Le docteur Keller est aussi cité dans le même but.