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  Objections diverses. 243

l’humanité a fait défaut dans un pays, tandis qu’il s’est produit dans un autre. Nous ignorons les conditions déterminantes du nombre et de la distribution d’une espèce, et nous ne pouvons même pas conjecturer quels sont les changements de conformation propres à favoriser son développement dans un pays nouveau. Nous pouvons cependant entrevoir d’une manière générale que des causes diverses peuvent avoir empêché le développement d’un cou allongé ou d’une trompe. Pour pouvoir atteindre le feuillage situé très haut (sans avoir besoin de grimper, ce que la conformation des ongulés leur rend impossible), il faut que le volume du corps prenne un développement considérable ; or, il est des pays qui ne présentent que fort peu de grands mammifères, l’Amérique du Sud par exemple, malgré l’exubérante richesse du pays, tandis qu’ils sont abondants à un degré sans égal dans l’Afrique méridionale. Nous ne savons nullement pourquoi il en est ainsi ni pourquoi les dernières périodes tertiaires ont été, beaucoup mieux que l’époque actuelle, appropriées à l’existence des grands mammifères. Quelles que puissent être ces causes, nous pouvons reconnaître que certaines régions et que certaines périodes ont été plus favorables que d’autres au développement d’un mammifère aussi volumineux que la girafe.

Pour qu’un animal puisse acquérir une conformation spéciale bien développée, il est presque indispensable que certaines autres parties de son organisme se modifient et s’adaptent à cette conformation. Bien que toutes les parties du corps varient légèrement, il n’en résulte pas toujours que les parties nécessaires le fassent dans la direction exacte et au degré voulu. Nous savons que les parties varient très différemment en manière et en degré chez nos différents animaux domestiques, et que quelques espèces sont plus variables que d’autres. Il ne résulte même pas de l’apparition de variations appropriées, que la sélection naturelle puisse agir sur elles et déterminer une conformation en apparence avantageuse pour l’espèce. Par exemple, si le nombre des individus présents dans un pays dépend principalement de la destruction opérée par les bêtes de proie — par les parasites externes ou internes, etc., — cas qui semblent se présenter souvent, la sélection naturelle ne peut modifier que très lentement une conformation spécialement destinée à se procurer des aliments ; car,