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AUTRUCHES.

leur ensevelissement dans la glace, au moyen de révolutions climatériques soudaines et de catastrophes épouvantables. Or je ne serais guère éloigné de supposer que le climat n’a pas changé depuis l’époque où vivaient ces animaux, aujourd’hui ensevelis dans les glaces. Quoi qu’il en soit, tout ce que je me propose de démontrer actuellement, c’est que, en ce qui concerne la quantité seule des aliments, les anciens rhinocéros auraient pu subsister dans les steppes de la Sibérie centrale (les parties septentrionales se trouvaient probablement alors recouvertes par les eaux), en admettant que ces steppes fussent à cette époque dans le même état qu’aujourd’hui, tout aussi bien que les rhinocéros et les éléphants actuels subsistent dans les karros de l’Afrique méridionale.

Je vais actuellement décrire les habitudes des oiseaux les plus intéressants et les plus communs dans les plaines sauvages de la Patagonie septentrionale ; je m’occuperai d’abord du plus grand d’eux tous, l’autruche de l’Amérique méridionale. Chacun connaît les habitudes ordinaires de l’autruche. Ces oiseaux se nourrissent de matières végétales, telles que les herbes ou les racines ; à Bahia Blanca cependant, j’en ai vu bien souvent trois ou quatre descendre à la marée basse au bord de la mer et explorer les grands amas de boue qui se trouvent alors à sec, dans le but, disent les Gauchos, de chercher des petits poissons pour les manger. Bien que l’autruche ait des habitudes très-timides, très-méfiantes, très-solitaires, bien qu’elle coure avec une extrême rapidité, cependant les Indiens ou les Gauchos, armés de bolas, s’en emparent facilement. Quand plusieurs cavaliers apparaissent disposés en demi-cercle, les autruches se troublent et ne savent de quel côté s’échapper ; elles préfèrent ordinairement courir contre le vent ; elles étendent leurs ailes en s’élançant, et semblent, comme un vaisseau, se couvrir de voiles. Par un beau jour très-chaud, je vis plusieurs autruches entrer dans un marais couvert de joncs fort élevés ; elles y restèrent cachées jusqu’à ce que je fusse tout près d’elles. On ne sait pas ordinairement que les autruches se jettent facilement dans l’eau. M. King m’apprend que, dans la baie de San-Blas et à Port-Valdes, en Patagonie, il a vu ces oiseaux passer souvent à la nage d’une île à l’autre. Elles entraient dans l’eau dès qu’elles étaient pourchassées de façon à n’avoir plus que cette retraite ; mais elles y entrent aussi de bonne volonté ; elles traversaient à la nage une distance d’environ 200 mètres. Quand elles nagent, on n’aperçoit au-dessus de l’eau qu’une fort petite partie de leur corps ; elles