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POINTE DE FLÈCHE ANTIQUE.

du Salado. Non-seulement des tribus entières ont disparu, mais ceux qui restent sont devenus plus barbares ; au lieu de vivre dans de grands villages et de s’occuper de chasse et de pêche, ils errent actuellement dans ces plaines immenses sans avoir ni occupation ni demeure fixes.

On me donna aussi quelques détails sur un engagement qui avait eu lieu à Cholechel, quelques semaines avant celui dont je viens de parler. Cholechel est un poste fort important, car c’est un lieu de passage pour les chevaux ; aussi y établit-on pendant quelque temps le quartier général d’une division de l’armée. Quand les troupes arrivèrent pour la première fois en cet endroit, elles y trouvèrent une tribu d’Indiens et en tuèrent vingt ou trente. Le cacique s’échappa d’une façon qui surprit tout le monde. Les principaux Indiens ont toujours un ou deux chevaux choisis qu’ils gardent sous la main en cas de besoin pressant. Le cacique s’élança sur un de ces chevaux de réserve, un vieux cheval blanc, emportant avec lui son fils encore en bas âge. Le cheval n’avait ni selle ni bride. Pour éviter les balles, l’Indien monta son cheval comme le font ordinairement ses compatriotes, c’est-à-dire un bras autour du cou de l’animal et une jambe seulement sur son dos. Suspendu ainsi sur le côté, on le vit caresser la tête de son cheval et lui parler. Les Espagnols s’acharnèrent à sa poursuite ; le commandant changea trois fois de cheval, mais ce fut en vain. Le vieil Indien et son fils parvinrent à s’échapper, et par conséquent à conserver leur liberté. Quel magnifique spectacle ce devait être, quel beau sujet de tableau pour un peintre : le corps nu, bronzé du vieillard portant dans ses bras son jeune fils, suspendu à son cheval blanc, comme Mazeppa, et échappant ainsi à la poursuite de ses ennemis !

Je vis un jour un soldat tirer des étincelles d’un morceau de silex, que je reconnus immédiatement pour avoir fait partie d’une pointe de flèche. Il me dit l’avoir trouvé près de l’île de Cholechel, et qu’on en trouvait beaucoup en cet endroit. Cet éclat de silex avait entre 2 et 3 pouces de long ; cette pointe de flèche était donc deux fois aussi grande que celles que l’on emploie aujourd’hui à la Terre de Feu ; elle était faite d’un morceau de silex opaque, de couleur blanchâtre, mais la pointe et les barbelures avaient été brisées. On sait qu’aucun Indien des Pampas ne se sert aujourd’hui d’arc ni de flèches, à l’exception, je crois, d’une petite tribu qui habite le Banda oriental. Mais cette dernière tribu est fort éloignée