Aller au contenu

Page:Darwin - Voyage d’un naturaliste autour du monde, trad. Barbier, 1875.djvu/143

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
127
LE CARDON.

tion de nouvelles espèces, de modifications dans la croissance des mêmes herbes ou d’une diminution de leur nombre proportionnel. Azara a été aussi fort étonné de ce changement d’aspect ; en outre, il se demande la raison de l’apparition immédiate, sur les bords de tous les sentiers qui conduisent à une hutte nouvellement construite, de plantes qui ne croissent pas dans le voisinage. Dans un autre endroit il dit[1] : « Ces chevaux (sauvages) ont la manie de préférer les chemins et le bord des routes pour déposer leurs excréments ; on en trouve des monceaux dans ces endroits. » Mais n’est-ce pas là une explication du fait ? Ne se produit-il pas ainsi des lignes de terre richement fumée qui servent de canaux de communication à travers d’immenses régions ?

Auprès de Guardia, nous trouvons la limite méridionale de deux plantes européennes devenues extraordinairement communes. Le fenouil abonde sur les revêtements des fossés dans le voisinage de Buenos Ayres, de Montevideo et d’autres villes. Mais le cardon[2] s’est répandu bien davantage ; on le trouve dans ces latitudes des deux côtés de la Cordillère, sur toute la largeur du continent. Je l’ai rencontré dans des endroits peu fréquentés du Chili, de l’Entre-Rios et du Banda oriental. Dans ce dernier pays seul, bien des milles carrés (probablement plusieurs centaines) sont recouverts par une masse de ces plantes armées de piquants, endroits où ni hommes ni bêtes ne peuvent pénétrer. Aucune autre plante ne peut actuellement exister sur les plaines ondulées où croissent ces cardons ; mais, avant leur introduction, la surface devait être couverte de grandes herbes, comme toutes les autres parties. Je doute qu’on puisse citer un exemple plus extraordinaire des envahissements d’une plante opérés sur une aussi grande échelle. Comme je

  1. Azara, Voyage, vol. I, p. 373.
  2. M. A. d’Orbigny (vol. I, p 474) dit que l’on trouve le cardon et l’artichaut à l’état sauvage. Le docteur Hooker (Botanical Magazine, vol. LV, p. 2862) a décrit, sous le nom d’inermis, une variété du Cynara provenant de cette partie de l’Amérique méridionale. Il affirme que la plupart des botanistes croient aujourd’hui que le cardon et l’artichaut sont des variétés de la même plante. Je puis ajouter qu’un fermier fort intelligent m’a affirmé avoir vu, dans un jardin abandonné, des plants d’artichauts se changer en cardon commun. Le docteur Hooker croit que la magnifique description que fait Head du chardon des Pampas s’applique au cardon, mais c’est là une erreur. Le capitaine Head fait allusion à la plante dont je vais m’occuper tout à l’heure sous le nom de chardon géant. Est-ce un vrai chardon ? Je n’en sais rien ; mais cette plante diffère absolument du cardon et ressemble beaucoup plus à un chardon.