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LE GRAND CORRAL.

aussi respectueux et aussi poli qu’il était soupçonneux auparavant. Naturaliste ! je suis persuadé que ni lui, ni ses compatriotes ne comprennent bien ce que cela peut vouloir dire ; mais il est probable que mon titre mystérieux ne fait que lui inspirer une plus haute idée de ma personne.

20 septembre. — Vers le milieu de la journée nous arrivons à Buenos Ayres. Les haies d’agaves, les bosquets d’oliviers, de pêchers et de saules, dont les feuilles commencent à s’ouvrir, donnent aux faubourgs de la ville un aspect délicieux. Je me rends à l’habitation de M. Lumb, négociant anglais, qui, pendant mon séjour dans le pays, m’a comblé de bontés.

La ville de Buenos Ayres[1] est grande et une des plus régulières, je crois, qui soient au monde. Toutes les rues se coupent à angle droit, et toutes les rues parallèles se trouvant à égale distance les unes des autres, les maisons forment des carrés solides d’égales dimensions que l’on appelle quadras.

Les maisons, dont toutes les chambres s’ouvrent sur une jolie petite cour, n’ont ordinairement qu’un étage, surmonté d’une terrasse garnie de sièges. En été les habitants se tiennent ordinairement sur ces terrasses. Au centre de la ville se trouve la place, autour de laquelle on remarque les édifices publics, la forteresse, la cathédrale, etc. ; là aussi se trouvait, avant la révolution, le palais des vice-rois. L’ensemble de ces édifices offre un magnifique coup d’œil, bien qu’aucun d’eux n’ait de grandes prétentions à une belle architecture.

Un des spectacles les plus curieux que puisse offrir Buenos Ayres est le grand corral, où l’on garde avant de les abattre les bestiaux qui doivent servir à l’approvisionnement de la ville. La force du cheval comparée à celle du bœuf est réellement étonnante. Un homme à cheval, après avoir enlacé de son lazo les cornes d’un bœuf, peut traîner ce dernier où il le veut. L’animal laboure la terre de ses jambes tendues en avant pour résister à la force supérieure qui l’entraîne, mais tout est inutile ; ordinairement aussi le bœuf prend son élan et se jette de côté, mais le cheval se tourne immédiatement pour recevoir le choc qui se produit avec une telle violence que le bœuf est presque renversé ; il est fort surprenant

  1. Buenos Ayres contient, dit-on (1833), 60 000 habitants. Montevideo, seconde ville importante sur les bords de la Plata, en contient 15 000. Buenos Ayres a aujourd’hui 100 000 habitants ; Montevideo, 40 000.