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LE CHEVAL FOSSILE.

poussière. Cette dent de cheval m’intéressait beaucoup[1] et je pris les soins les plus minutieux pour bien m’assurer qu’elle avait été enfouie à la même époque que les autres restes fossiles ; j’ignorais alors qu’une dent semblable se trouvât cachée dans la gangue des fossiles que j’avais trouvés à Bahia Blanca ; on ne savait pas non plus alors que les restes du cheval se trouvent de toutes parts dans l’Amérique du Nord. M. Lyell a dernièrement rapporté des États-Unis une dent de cheval ; or, il est intéressant de constater que le professeur Owen n’a pu trouver, dans aucune espèce fossile ou récente, une courbe légère, mais fort singulière, qui caractérise cette dent, jusqu’à ce qu’il ait pensé à la comparer à la mienne ; le professeur a donné à ce cheval américain le nom d’Equus curvidens. N’est-ce pas un fait merveilleux dans l’histoire des mammifères qu’un cheval indigène ait habité l’Amérique méridionale, puis qu’il ait disparu, pour être remplacé plus tard par les hordes innombrables descendant de quelques animaux introduits par les colons espagnols ?

L’existence, dans l’Amérique méridionale, d’un cheval fossile, du mastodonte, peut-être d’un éléphant[2], et d’un ruminant à cornes creuses, découvert par MM. Lund et Clausen dans les cavernes du Brésil, constitue un fait fort intéressant au point de vue de la distribution géographique des animaux. Si nous divisons aujourd’hui l’Amérique, non pas par l’isthme de Panama, mais par la partie méridionale du Mexique[3] sous le 20e degré de latitude, où le grand plateau présente un obstacle à la migration des espèces, en modifiant le climat et en formant, à l’exception de quelques vallées et d’une bordure de basses terres sur la côte, une barrière

  1. Il est à peu près inutile de constater ici que le cheval n’existait pas en Amérique au temps de Colomb.
  2. Cuvier, Ossements fossiles, vol. I, p. 158.
  3. C’est là la division géographique adoptée par Lichtenstein, Swainson, Erichson et Richardson. La section du pays, section passant par Vera-Cruz et Acapulco, qu’a donnée Humboldt dans l’Essai politique sur le royaume de la Nouvelle-Espagne, prouve quelle immense barrière forme le plateau du Mexique. Le docteur Richardson, dans son admirable rapport sur la zoologie de l’Amérique du Nord, lu devant l’Association britannique (1836, p. 157), parle de l’identification d’un animal mexicain avec le Synetheres prehensilis et ajoute : « Je ne saurais prouver que l’analogie est absolument démontrée ; mais, s’il en est ainsi, c’est, sinon un exemple unique, tout au moins un exemple presque unique, d’un animal rongeur commun à l’Amérique méridionale et à l’Amérique septentrionale. »