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HABITUDES DU JAGUAR.

trois arbres surtout ; par devant, leur écorce était polie, comme par le frottement constant d’un animal ; de chaque côté, se trouvaient trois écorchures, ou plutôt trois rigoles, s’étendant en ligne oblique et ayant près de 1 mètre de long. Ces rigoles remontaient évidemment à des époques différentes. On n’a qu’à examiner ces arbres pour savoir immédiatement s’il y a un jaguar dans le voisinage. Cette habitude du jaguar est exactement analogue à celle de nos chats ordinaires alors que, les pattes étendues, les griffes sorties du fourreau, ils grattent le montant d’une chaise ; je sais, d’ailleurs, que les chats endommagent souvent, en les griffant, de jeunes arbres fruitiers en Angleterre. Le puma doit avoir aussi la même habitude, car j’ai vu fréquemment, sur le sol dur et nu de la Patagonie, des entailles si profondes, que cet animal seul a pu les faire. Ces animaux ont pris, je crois, cette habitude pour enlever les pointes usées de leurs griffes et non pas, comme le pensent les Gauchos, pour les aiguiser. On arrive à tuer le jaguar sans beaucoup de difficulté ; poursuivi par les chiens, il grimpe dans un arbre, où il est facile de l’abattre à coups de fusil.

Le mauvais temps nous fait rester deux jours à notre mouillage ; notre seul amusement consiste à pêcher du poisson pour notre dîner ; il y en a de différentes espèces, et tous bons à manger. Un poisson appelé l’armado (un Silurus) fait entendre un bruit singulier, ressemblant à un grincement, quand il se sent saisi par le hameçon ; on peut entendre ce bruit même quand le poisson est encore sous l’eau. Ce même poisson a la faculté de saisir avec force un objet quel qu’il soit, rame ou ligne de pêche, avec les fortes épines qu’il porte sur sa nageoire pectorale et sur sa nageoire dorsale. Dans la soirée, nous avons une vraie température tropicale, le thermomètre indique 79 degrés F. (26°,1 C.). Nous sommes environnés de mouches lumineuses et de moustiques ; ces derniers sont fort désagréables. J’expose ma main à l’air pendant cinq minutes, elle est bientôt entièrement couverte par ces insectes ; il y en avait au moins cinquante suçant tous à la fois.

15 octobre. — Nous reprenons notre navigation et passons devant Punta-Gorda, où se trouve une colonie d’Indiens soumis de la province de Missiones. Le courant nous entraîne rapidement ; mais avant le coucher du soleil la crainte ridicule du mauvais temps nous fait jeter l’ancre dans un petit bras du fleuve. Je prends le bateau et je remonte quelque peu cette crique. Elle est fort étroite, fort profonde et fait de nombreux détours ; de chaque côté, un véri-