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CHIENS BERGERS.

plus vieux bouc du troupeau. On enseigne aussi très-facilement à un chien à ramener le troupeau à la ferme à une heure déterminée de la soirée. Ces chiens n’ont guère qu’un défaut pendant leur jeunesse, celui de jouer trop fréquemment avec les moutons, car, dans leurs jeux, ils font terriblement galoper leurs pauvres sujets.

Le chien berger vient chaque jour à la ferme chercher de la viande pour son dîner ; dès qu’on lui a donné sa pitance il se sauve, tout comme s’il avait honte de la démarche qu’il vient de faire. Les chiens de la maison se montrent fort méchants pour lui, et le plus petit d’entre eux n’hésite pas à l’attaquer et à le poursuivre. Mais dès que le chien berger se retrouve auprès de son troupeau, il se retourne et commence à aboyer ; alors tous les chiens qui le poursuivaient tout à l’heure se sauvent à leur tour à toutes jambes. De même une bande entière de chiens sauvages affamés se hasardent rarement (on m’a même affirmé jamais) à attaquer un troupeau gardé par un de ces fidèles bergers. Tout ceci me paraît constituer un curieux exemple de la souplesse des affections chez le chien. Que le chien soit sauvage ou élevé de n’importe quelle façon, il conserve un sentiment de respect ou de crainte pour ceux qui obéissent à leur instinct d’association. Nous ne pouvons, en effet, comprendre que les chiens sauvages reculent devant un seul chien accompagné de son troupeau, qu’en admettant chez eux une sorte d’idée confuse que celui qui est ainsi en compagnie acquiert une certaine puissance, tout comme s’il était accompagné d’autres individus de son espèce. F. Cuvier a fait observer que tous les animaux qui se réduisent facilement en domesticité considèrent l’homme comme un des membres de leur propre société et qu’ils obéissent ainsi à leur instinct d’association. Dans le cas ci-dessus cité, le chien berger considère les moutons comme ses frères et acquiert ainsi de la confiance en lui-même ; les chiens sauvages, bien que sachant que chaque mouton pris individuellement n’est pas un chien, mais un animal bon à manger, adoptent sans doute aussi en partie cette même manière de voir quand ils se trouvent en présence d’un chien berger à la tête d’un troupeau.

Un soir, je vis arriver un domidor (un dompteur de chevaux) qui venait dans le but de dompter quelques poulains. Je vais décrire en quelques mots les opérations préparatoires, car je crois qu’aucun voyageur n’a fait jusqu’ici cette description. On fait entrer dans un corral une troupe de jeunes chevaux sauvages, puis on en ferme la porte. Le plus souvent un homme seul se