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CAUSES D’EXTINCTION.

rieure aux grands transports par les glaces. L’homme, après avoir pénétré dans l’Amérique méridionale, a-t-il détruit, comme on l’a suggéré, l’immense Megatherium et les autres Édentés ? Tout au moins, faut-il attribuer une autre cause à la destruction du petit Tucutuco, à Bahia Blanca, et à celle des nombreuses souris fossiles et des autres petits quadrupèdes du Brésil. Personne n’oserait soutenir qu’une sécheresse, bien plus terrible encore que celles qui causent tant de ravages dans les provinces de la Plata, ait pu amener la destruction de tous les individus de toutes les espèces depuis la Patagonie méridionale jusqu’au détroit de Behring. Comment expliquer l’extinction du cheval ? Les pâturages ont-ils fait défaut dans ces plaines parcourues depuis par les millions de chevaux descendant des animaux introduits par les Espagnols ? Les espèces nouvellement introduites ont-elles accaparé la nourriture des grandes races antérieures ? Pouvons-nous croire que le Capybara ait accaparé les aliments du Toxodon, le Guanaco du Macrauchenia, les petits Édentés actuels de leurs nombreux prototypes gigantesques ? Il n’y a certes pas, dans la longue histoire du monde, de fait plus étonnant que les immenses exterminations, si souvent répétées, de ses habitants.

Toutefois, si nous envisageons ce problème à un autre point de vue, il nous paraîtra peut-être moins embarrassant. Nous ne nous rappelons pas assez combien peu nous connaissons les conditions d’existence de chaque animal ; nous ne songeons pas toujours non plus que quelque frein est constamment à l’œuvre pour empêcher la multiplication trop rapide de tous les êtres organisés vivant à l’état de nature. En moyenne, la quantité de nourriture reste constante ; la propagation des animaux tend, au contraire, à s’établir dans une progression géométrique. On peut constater les surprenants effets de cette rapidité de propagation par ce qui s’est passé pour les animaux européens qui ont repris la vie sauvage en Amérique. Tout animal à l’état de nature se reproduit régulièrement ; cependant, dans une espèce depuis longtemps fixée, un grand accroissement en nombre devient nécessairement impossible, et il faut qu’un frein agisse de façon ou d’autre. Toutefois, il est fort rare que nous puissions dire avec certitude, en parlant de telle ou telle espèce, à quelle période de la vie, ou à quelle période de l’année, ou à quels intervalles, longs ou courts, ce frein commence à opérer, ou quelle est sa véritable nature. De là vient, sans doute, que nous ressentons si peu de surprise en voyant que, de deux espèces fort rapprochées