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LE CONDOR.

gues auraient appelé à leur aide l’action violente de quelque épouvantable catastrophe ; mais, dans ce cas, semblable supposition serait inadmissible, parce que les mêmes plaines disposées en degrés et portant à leur surface des coquillages actuellement existants, plaines qui bordent la longue étendue des côtes de la Patagonie, contournent aussi la vallée du Santa Cruz. Aucune inondation n’aurait pu donner ce relief à la terre, soit dans la vallée, soit le long de la côte, et il est certain que la vallée s’est formée par suite de la formation de ces terrasses successives. Bien que nous sachions qu’il y a, dans les parties resserrées du détroit de Magellan, des courants qui le traversent en faisant 8 nœuds à l’heure, on n’en reste pas moins stupéfait quand on pense au nombre d’années qu’il a fallu à des courants semblables pour désagréger une masse aussi colossale de lave basaltique solide. Il faut croire toutefois que les couches, minées par les eaux qui traversaient cet ancien détroit, se sont concassées en immenses fragments ; que ceux-ci, à leur tour, ont fini par se briser en morceaux moins considérables, puis par être réduits en cailloux et enfin en poudre impalpable que les courants ont transportée au loin, dans l’un ou l’autre des deux océans.

Le caractère du paysage change en même temps que la structure géologique des plaines. En parcourant quelques-uns des étroits défilés du rocher, j’aurais pu me croire encore dans les vallées stériles de l’île de San Iago. Au milieu de ces rochers basaltiques je trouve quelques plantes que je n’avais jamais vues, d’autres que je reconnus comme appartenant à la Terre de Feu. Ces rocs poreux servent de réservoir aux quelques gouttes de pluie qui tombent chaque année ; aussi quelques petites sources (phénomène fort rare en Patagonie) se font-elles jour aux endroits où les terrains ignés rejoignent les terrains de sédiment ; on reconnaît ces sources à une assez grande distance, parce qu’elles sont entourées d’un peu de verdure.

27 avril. — Le lit du fleuve se resserre un peu et, en conséquence, le courant devient plus rapide ; il fait ici environ six nœuds à l’heure. Cette cause, jointe aux nombreux fragments angulaires qui parsèment le lit du fleuve, rend le travail des remorqueurs fort pénible et fort dangereux.

Aujourd’hui j’ai tué un condor. Il mesurait 8 pieds et demi d’une extrémité de l’aile à l’autre et 4 pieds du bout du bec au bout de la queue. On sait que l’habitat de cet oiseau est, géographiquement parlant, fort considérable. Sur la côte occidentale de l’Amérique