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PORT-FAMINE.

montagne entière de la base au sommet ; puis j’ai revu la même montagne, mais du détroit de Ponsonby, et cette fois elle dominait d’autres chaînes ; or elle me parut infiniment plus haute, les chaînes intermédiaires me permettant de mieux apprécier sa hauteur.

Avant d’arriver à Port-Famine, nous voyons deux hommes courir le long de la côte tout en hélant notre bâtiment. On envoie un canot pour les recueillir. Ce sont deux marins qui ont déserté un baleinier et qui ont été vivre avec les Patagons. Ces Indiens les ont traités avec leur bienveillance ordinaire. Séparés d’eux par accident, ils se rendaient à Port-Famine dans l’espoir d’y trouver un bâtiment quelconque. Je ne doute, en aucune façon, que ce ne soient d’abominables vagabonds, mais jamais je n’ai vu hommes paraissant plus misérables. Depuis quelques jours, ils n’avaient pour toute nourriture que quelques moules et des baies sauvages ; leurs vêtements, véritables haillons, étaient en outre brûlés en plusieurs endroits parce qu’ils avaient couché trop près de leur feu. Depuis quelque temps ils étaient exposés nuit et jour, sans aucun abri, à la pluie, à la grêle et à la neige, et cependant ils se portaient parfaitement bien.

Pendant notre séjour à Port-Famine, les Fuégiens vinrent nous tourmenter par deux fois. Nous avions débarqué une assez grande quantité d’instruments et de vêtements ; nous avions aussi quelques hommes à terre ; le capitaine crut donc devoir tenir les sauvages à distance. La première fois on tira quelques coups à boulet alors qu’ils se trouvaient encore fort loin, mais de façon à ne pas les atteindre. Rien de plus comique que d’observer avec un télescope en ce moment la conduite des Indiens. Chaque fois que le boulet frappait l’eau, ils ramassaient des pierres pour les lancer contre le vaisseau, qui se trouvait à environ 1 mille et demi de distance ! Puis on mit en mer une chaloupe avec ordre d’aller faire quelques décharges de mousqueterie dans leur voisinage. Les Fuégiens se cachèrent derrière les arbres et, après chaque coup de feu, ils lançaient leurs flèches ; mais ces flèches ne pouvaient atteindre la chaloupe, et l’officier qui la commandait le leur fit remarquer en riant. Les Fuégiens devinrent alors fous de colère ; ils secouèrent leurs manteaux avec rage, mais ils s’aperçurent bientôt que les balles frappaient les arbres au-dessus de leur tête et ils se sauvèrent ; depuis ce jour ils nous laissèrent en paix et n’essayèrent pas de se rapprocher de nous. En ce même endroit, durant le précé-