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Page:Darwin - Voyage d’un naturaliste autour du monde, trad. Barbier, 1875.djvu/269

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FORÊTS.

cente n’est pas tout à fait aussi laborieuse que la montée, car notre corps se force un passage par son propre poids, et toutes les glissades, toutes les chutes que nous faisons nous entraînent au moins dans la bonne direction.


J’ai déjà parlé du caractère sombre et triste qu’affectent ces forêts, composées d’arbres toujours verts[1], et dans lesquelles poussent deux ou trois espèces d’arbres, à l’exclusion de toutes les autres. Au-dessus des forêts croissent un grand nombre de plantes alpestres fort petites, qui sortent toutes de la masse de la tourbe et qui aident à la composer. Ces plantes sont fort remarquables en ce qu’elles ressemblent beaucoup aux espèces qui croissent sur les montagnes de l’Europe, bien qu’elles en soient éloignées de tant de milliers de milles. La partie centrale de la Terre de Feu, où se trouve la formation d’argile schisteuse, est la plus favorable à la croissance des arbres ; sur la côte, au contraire, ils n’atteignent presque jamais leur grosseur complète, parce que le sol granitique est plus pauvre et qu’ils sont exposés à des vents plus violents. J’ai vu, près de Port-Famine, plus de grands arbres que partout ailleurs ; j’ai mesuré un hêtre ayant 4 pieds 6 pouces de tour ; plusieurs autres, d’ailleurs, qui avaient 13 pieds de tour. Le capitaine King parle aussi d’un hêtre qui avait 7 pieds de diamètre à 17 pieds au-dessus des racines.

Il y a une production végétale qui mérite d’être signalée, à cause de son importance comme aliment. C’est un champignon globulaire, jaune clair, qui pousse en nombre considérable sur les hêtres. Jeune, ce champignon est élastique, boursouflé et a la surface polie ; mais quand il est mûr, il se ratatine, devient plus résistant et la surface entière se ride et se creuse profondément, ainsi que le représente la figure ci-après. Ce champignon appartient à un genre nouveau et curieux[2] ; j’en ai trouvé une seconde espèce sur

  1. Le capitaine Fitz-Roy m’apprend qu’au mois d’avril, qui correspond à notre mois d’octobre, les feuilles des arbres qui croissent près de la base des montagnes changent de couleur, ce qui n’arrive pas à ceux qui croissent dans des situations plus élevées. Je me rappelle avoir lu quelques observations prouvant qu’en Angleterre les feuilles tombent plus tôt quand l’automne est beau et chaud que quand il est froid et tardif. Le changement de couleur, retardé ici dans les situations élevées et par conséquent plus froides, doit dépendre de la même loi générale. Les arbres de la Terre de Feu ne perdent jamais toutes leurs feuilles.
  2. Décrit d’après mes spécimens et mes notes par le révérend J.-M. Berkeley, dans les Linnæan Transactions, vol. XIX, p. 37, sous le nom de Cyllaria Darwinii ; l’espère chilienne a été appelée C. Berteroii. Ce genre est allié au genre Bulgaria.