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CHILOÉ.

rayons du soleil ne percent jamais le feuillage toujours vert, et le sol est si humide, si marécageux, que, sans ce dallage en bois, ni hommes ni bêtes ne pourraient suivre la route. J’arrive au village de Chacao au moment où mes compagnons, qui sont venus dans les bateaux, disposent les tentes pour passer la nuit.

Dans cette partie du pays on a quelque peu défriché, aussi y a-t-il de charmantes échappées sur la forêt. Chacao était autrefois le principal port de l’île, mais un grand nombre de vaisseaux s’y étant perdus à cause des courants dangereux et des nombreux écueils qui se trouvent dans les passes, le gouvernement espagnol a fait incendier l’église et a ainsi arbitrairement obligé le plus grand nombre des habitants de cette ville à aller demeurer à San Carlos. À peine avions-nous établi notre bivouac, que le fils du gouverneur vint, pieds nus, s’enquérir de ce que nous voulions. Voyant le drapeau britannique hissé au grand mât de la yole, il nous demanda avec la plus profonde indifférence si nous venions prendre possession de l’île. Dans plusieurs endroits, d’ailleurs, les habitants, tout étonnés de voir des embarcations de guerre, crurent, espérèrent même, qu’elles précédaient une flotte espagnole venant enlever l’île au gouvernement patriotique du Chili. Mais tous les fonctionnaires avaient été prévenus de notre prochaine visite et ils nous accablèrent de politesses. Le gouverneur vint nous rendre visite pendant que nous étions à souper ; c’était un ancien lieutenant-colonel au service de l’Espagne, mais il était alors horriblement pauvre. Il nous donna deux moutons et accepta en échange deux mouchoirs de coton, quelques ornements en cuivre et un peu de tabac.

25 novembre. — Il pleut à torrents ; nous côtoyons cependant l’île jusqu’à Huapi-Lenou. Toute cette partie orientale de Chiloé présente le même aspect : une plaine entrecoupée de vallées et divisée en petites îles ; le tout est recouvert par une impénétrable forêt vert noirâtre. Sur la côte, quelques champs défrichés entourent des huttes à toits fort élevés.

26 novembre. — La matinée est admirable. Le volcan d’Osorno vomit des torrents de fumée. Cette admirable montagne, formant un cône parfait tout recouvert de neige, s’élève en avant de la Cordillère. Des petits jets de vapeur s’échappent aussi de l’immense cratère d’un autre grand volcan dont le sommet affecte la forme d’une selle. Peu après, nous apercevons l’énorme Corcovado, qui mérite bien le nom de el famoso Corcovado. Nous apercevions donc d’un seul endroit trois grands volcans actifs, qui ont chacun