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Page:Darwin - Voyage d’un naturaliste autour du monde, trad. Barbier, 1875.djvu/315

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CASTRO.

30 novembre. — Dans la matinée du dimanche, nous arrivons à Castro, ancienne capitale de Chiloé, aujourd’hui ville triste et déserte. On y retrouve les traces du plan quadrangulaire, ordinaire aux villes espagnoles ; mais les rues et la place sont actuellement recouvertes d’un épais gazon que broutent les moutons. L’église, située au milieu de la ville, est entièrement construite en bois et ne manque ni de pittoresque ni de majesté. Le fait qu’un de nos hommes ne put trouver à acheter à Castro ni une livre de sucre, ni un couteau ordinaire, donnera une faible idée de la pauvreté de cette ville, bien qu’il y ait encore quelques centaines d’habitants. Aucun d’eux ne possède ni montre ni pendule, et un vieillard, qui passe pour bien calculer le temps, frappe les heures sur la cloche de l’église absolument quand il lui plaît. L’arrivée de nos bateaux dans ce coin retiré du monde fut un véritable événement ; tous les habitants vinrent au bord de la mer nous voir planter nos tentes. Ils sont très-polis ; ils nous offrirent une maison, et un homme nous envoya même en cadeau un tonneau de cidre. Dans l’après-midi nous allâmes rendre visite au gouverneur, vieillard fort aimable, qui, par son extérieur et son mode de vie, nous représentait assez un paysan anglais. Le soir, la pluie se met à tomber avec violence et c’est à peine si cela suffit pour écarter les badauds qui continuent à entourer nos tentes. Une famille indienne, qui était venue en canot de Caylen pour faire quelques échanges, avait établi son bivouac auprès de nous. Ces pauvres gens n’avaient rien pour s’abriter de la pluie. Le matin venu, je demandai à un jeune Indien trempé jusqu’aux os comment il avait passé la nuit. Il me parut fort satisfait et me répondit : « Muy bien, señor. »

1er décembre. — Nous mettons le cap sur l’île de Lemuy. J’étais désireux de visiter une prétendue mine de charbon ; ce n’est qu’une couche de lignite de peu de valeur qui se trouve dans le grès (appartenant probablement à l’époque du tertiaire inférieur) dont se composent ces îles. Arrivés à Lemuy, nous eûmes beaucoup de peine à planter nos tentes, car nous nous trouvions au moment d’une grande marée et les bois venaient jusqu’au bord même de l’eau. En quelques instants, nous sommes entourés par une foule d’Indiens de race presque pure. Notre arrivée leur causa la plus grande surprise et l’un d’eux dit à un autre : « Voilà pourquoi nous avons vu tant de perroquets dernièrement ; le cheucau (un singulier petit oiseau à la poitrine rouge qui habite les forêts les plus épaisses et fait entendre les cris les plus extraordinaires) n’a pas