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CAYLEN.

de Gunnera scabra, plante qui ressemble à de la rhubarbe gigantesque. Les habitants mangent les tiges, qui sont acidulées, et se servent des racines pour tanner le cuir et pour préparer une teinture noire. La feuille de cette plante est presque circulaire, mais profondément dentelée sur les bords. J’en mesurai une qui avait près de 8 pieds de diamètre et par conséquent 24 pieds de circonférence ! La tige a un peu plus de 1 mètre de hauteur et chaque plant porte quatre ou cinq de ces énormes feuilles, ce qui lui donne un aspect grandiose.

6 décembre. — Nous arrivons à Caylen, appelé el fin del Cristiandad. Dans la matinée, nous nous arrêtons quelques minutes dans une maison située à l’extrémité septentrionale de Laylec, point extrême de la chrétienté dans l’Amérique du Sud, et, il faut bien le dire, cette maison n’est qu’une affreuse hutte. Nous nous trouvons par 43°10′ de latitude, ce qui est 2 degrés plus au sud que le rio Negro, sur la côte de l’Atlantique. Ces derniers chrétiens sont extrêmement pauvres et ils profitent de leur situation pour nous demander un peu de tabac. Comme preuve de la pauvreté de ces Indiens, je puis dire que, peu de temps auparavant, nous avions rencontré un homme qui avait fait trois jours et demi de marche et qui en avait autant à faire pour s’en retourner chez lui, et cela dans le seul but de recouvrer le prix d’une hachette et de quelques poissons. Quelle difficulté on doit avoir à acheter la moindre chose quand on prend tant de peine pour recouvrer une si petite dette !

Nous atteignons dans la soirée l’île de San Pedro, où nous trouvons le Beagle à l’ancre. En doublant une pointe de l’île deux officiers débarquent pour relever quelques angles avec le théodolite. Un renard (Canis fulvipes), espèce particulière, dit-on, à cette île, où elle est même fort rare, et qui est nouvelle, était assis sur un rocher. Il était si absorbé dans la contemplation des deux officiers, que je pus m’approcher de lui et lui casser la tête avec mon marteau de géologue. Ce renard, plus curieux ou plus ami des sciences, mais dans tous les cas moins sage que la plupart de ses frères, se trouve aujourd’hui dans le muséum de la Société zoologique.

Le capitaine Fitz-Roy profite d’un séjour de trois jours que nous faisons dans ce port pour essayer d’atteindre le sommet du San Pedro. Les bois, dans ces parages, sont quelque peu différents de ceux que l’on trouve dans les parties septentrionales de l’île. Les rochers sont formés de micaschiste, ce qui fait qu’il n’y a pas