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LE PORTILLO.

ron 13 000 pieds (3 900 mètres) au-dessus du niveau de la mer), les étrangers ne sont pas encore tout à fait accoutumés à l’atmosphère au bout d’une année. Les habitants recommandent tous l’oignon comme remède contre le puna. On emploie souvent ce légume en Europe dans les affections de la poitrine ; il est donc probable qu’il rend quelques services. Quant à moi, je le répète, il a suffi de la vue de quelques coquillages fossiles pour me guérir instantanément !

À peu près à moitié chemin de la hauteur, nous rencontrons une troupe de muletiers conduisant soixante-dix mules chargées. Il est fort amusant d’entendre les cris sauvages des conducteurs et d’observer la longue file des animaux, qui paraissent extrêmement petits, car nous n’avons que d’immenses montagnes dénudées pour terme de comparaison. Près du sommet, le vent, comme à l’ordinaire, est froid et impétueux. Nous traversons quelques champs considérables de neiges perpétuelles qui vont bientôt se trouver recouvertes par de nouvelles couches. Arrivés au sommet, nous nous retournons, et le spectacle le plus magnifique frappe nos regards. L’atmosphère limpide, le ciel bleu foncé, les vallées profondes, les pics dénudés aux formes étranges, les ruines entassées pendant tant de siècles, les rochers aux brillantes couleurs, qui contrastent si vivement avec la blancheur de la neige, tout ce qui m’entoure forme une scène indescriptible. Ni plante ni oiseaux, sauf quelques condors planant au-dessus des pics les plus élevés, ne distraient mon attention des masses inanimées. Je me sens heureux d’être seul ; je ressens tout ce qu’on éprouve quand on assiste à un terrible orage ou qu’on entend un chœur du Messie exécuté à grand orchestre.

Je trouve sur plusieurs champs de neige le protococcus nivalis, ou neige rouge, que nous ont fait si bien connaître les récits des voyageurs arctiques. Les empreintes des pas de nos mules devenues rouge pâle, comme si leur sabot était imprégné de sang, attirent mon attention. Je suppose d’abord que cette couleur rouge provient de la poussière des montagnes environnantes, qui sont composées de porphyre rouge, car l’effet grossissant des cristaux de la neige fait paraître ces groupes de plantes microscopiques comme autant de particules grossières. La neige ne revêt une teinte rouge qu’aux endroits où elle a fondu rapidement et là où elle a été accidentellement comprimée. Un peu de cette neige, frottée sur du papier, donne à celui-ci une légère teinte rose, mélangée à un peu de rouge brique. J’enlève ensuite ce qui