Page:Darwin - Voyage d’un naturaliste autour du monde, trad. Barbier, 1875.djvu/37

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
21
DESCRIPTION D’UNE VÊNDA.

de refuge à quelques nègres marrons qui, en cultivant un petit plateau situé au sommet, parvinrent à s’assurer des subsistances. On les découvrit enfin, et on envoya une escouade de soldats pour les déloger ; tous se rendirent, à l’exception d’une vieille femme, qui, plutôt que de reprendre la chaîne de l’esclavage, préféra se précipiter du sommet du rocher et se brisa la tête en tombant. Accompli par une matrone romaine, on aurait célébré cet acte et on aurait dit qu’elle y avait été poussée par le noble amour de la liberté ; accompli par une pauvre négresse, on se contenta de l’attribuer à un brutal entêtement. Nous continuons notre voyage durant plusieurs heures ; pendant les quelques derniers milles de notre étape, la route devient difficile, car elle traverse une sorte de pays sauvage entrecoupé de marécages et de lagunes. À la lumière de la lune, le paysage se présente sous un aspect sauvage et désolé. Quelques mouches lumineuses volent autour de nous, et une bécasse solitaire fait entendre son cri plaintif. Le mugissement de la mer, située à une assez grande distance, trouble à peine le silence de la nuit.

9 avril. — Nous quittons, avant le lever du soleil, la misérable hutte où nous avons passé la nuit. La route traverse une étroite plaine sablonneuse située entre la mer et les lagunes. Un grand nombre de magnifiques oiseaux pêcheurs, tels que des aigrettes et des grues, des plantes vigoureuses affectant les formes les plus fantastiques, donnent au paysage un intérêt qu’il n’aurait certes pas possédé autrement. Des plantes parasites, au milieu desquelles nous admirons surtout les orchidées pour leur beauté et l’odeur délicieuse qu’elles exhalent, couvrent littéralement les quelques arbres rabougris disséminés cà et là. Dès que le soleil se lève, la chaleur est intense et la réverbération des rayons du soleil sur le sable blanc devient bientôt insupportable. Nous dînons à Mandetiba ; le thermomètre marque à l’ombre 84 degrés Fahrenheit (28°, 8 centigrades). Les collines boisées se reflètent dans l’eau calme d’un lac immense ; ce spectacle admirable nous aide à supporter les ardeurs de la température. Il y a à Mandetiba une très-bonne vênda[1] ; je veux prouver toute ma reconnaissance de l’excellent dîner que j’y ai fait, dîner qui constitue une exception trop rare, hélas ! en décrivant cette vênda comme le type de toutes les auberges du pays. Ces maisons, souvent fort grandes, sont toutes construites de la même

  1. Vênda, terme portugais pour désigner une auberge.