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MENDOZA.

elles s’élancèrent de côté et d’autre, dans toutes les directions. Les sauterelles sont un fléau assez commun dans ce pays ; déjà, pendant cette saison, plusieurs nuées plus petites étaient venues du Sud, où, comme apparemment dans toutes les autres parties du monde, elles semblent se propager dans les déserts. Les pauvres habitants essayent en vain de détourner l’attaque en allumant des feux, en criant, en agitant des branchages. Cette espèce de sauterelle ressemble beaucoup au Gryllus migratorius de l’Orient et est peut-être identique.

Nous traversons le Luxan, fleuve considérable, bien qu’on ne connaisse qu’imparfaitement son cours jusqu’à la côte ; on ne sait même pas s’il ne vient pas à disparaître par suite de l’évaporation en traversant les plaines. Nous passons la nuit à Luxan, village entouré de jardins et limite méridionale des terres cultivées dans la province de Mendoza. Pendant la nuit, j’ai à soutenir une lutte, ce n’est pas une exagération, contre une Benchuca, espèce de Réduves, la grande punaise noire des Pampas. Quel dégoût n’éprouve-t-on pas quand on sent un insecte mou, ayant environ 1 pouce de long, qui vous rampe sur le corps ? Avant de sucer, cet insecte est absolument plat, mais à mesure qu’il absorbe le sang il s’arrondit et, dans cet état, on l’écrase facilement. Une de ces punaises, que j’attrapai à Iquique, car on les trouve aussi au Chili et au Pérou, était absolument vide. Placé sur une table et entouré de monde, cet audacieux insecte, si on lui présente le doigt, s’élance aussitôt et se met à sucer si on le laisse faire. Sa piqûre ne cause aucune douleur ; il est fort curieux de voir son corps s’emplir de sang ; en moins de dix minutes, de plat qu’il était, il se transforme en boule. Ce repas que l’un des officiers du vaisseau voulut bien offrir à la benchuca, suffit à lui conserver un honnête embonpoint pendant quatre mois entiers ; mais au bout de quinze jours elle était toute disposée à faire un second repas.

27 mars. — Nous nous rendons à Mendoza. Nous traversons un pays admirablement cultivé et qui ressemble au Chili. Ce pays est célèbre pour ses fruits, et certainement rien de plus admirable que ses vignes et que ses bosquets de figuiers, de pêchers et d’oliviers. Nous achetons moyennant un sou des melons d’eau près de deux fois aussi gros que la tête d’un homme, admirablement frais et au parfum le plus délicieux ; pour trois sous on a une brouettée de pêches. La partie cultivée de cette province est fort peu considérable ; elle ne comprend guère que la région qui s’étend de