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LE DESPOBLADO.

nous la voyons par les vagues de la mer, lors du soulèvement graduel du sol. J’ai observé, dans un endroit où un ravin, que dans toute autre chaîne de montagnes on aurait appelé une grande vallée, rejoint le Despoblado, que le lit de ce dernier, bien que formé de sable et de gravier, est plus élevé que celui de son tributaire. Un ruisseau, quelque faible qu’il soit, se serait creusé là un lit en une heure ; or, l’état des choses prouve évidemment que des siècles se sont écoulés sans qu’un ruisseau ait coulé dans ce grand tributaire. Rien de curieux comme de voir tout un appareil de drainage, si on peut employer cette expression, appareil parfait dans toutes ses parties et qui, cependant, semble n’avoir jamais servi. Chacun a pu remarquer que les bancs de boue, quand la marée s’est retirée, représentent en miniature un pays entrecoupé de collines et de vallées ; ici on retrouve exactement ce même modèle construit en rochers et formé à mesure que la mer s’est retirée pendant le cours des siècles, en conséquence du soulèvement du continent, au lieu d’être formé par l’action alternative de la marée montante et descendante. Si une averse tombe sur le banc de boue laissé à découvert, la pluie ne fait que creuser davantage les lignes d’excavation existant déjà ; il en est de même, pendant le cours des siècles, de la pluie qui tombe sur cet amas de rochers et de terres que nous appelons un continent.

Après la nuit tombée, nous continuons notre route jusqu’à ce que nous atteignions un ravin latéral où se trouve un petit puits connu sous le nom de Agua-amarga. L’eau que contient ce puits mérite bien le nom qu’on lui a donné ; non-seulement elle est saumâtre, mais elle est amère et a une odeur détestable, à tel point que nous devons nous passer de thé et de maté. Il y a, je crois, 25 ou 30 milles (40 à 48 kilomètres) entre ce point et le fleuve Copiapó, et dans tout ce parcours on ne trouve pas une seule goutte d’eau ; le pays mérite le nom de désert dans le sens le plus absolu du mot. Cependant, nous avons vu quelques ruines indiennes à moitié route, près de Punta Gorda. J’ai remarqué aussi, en avant de quelques-unes des vallées qui viennent aboutir au Despoblado, deux amas de pierres placés à quelque distance l’un de l’autre, et disposés de façon à indiquer l’ouverture de ces petites vallées. Mes compagnons ne peuvent me donner aucune explication relativement à ces amas de pierres et se contentent de répondre imperturbablement à mes questions par leur éternel Quien sabe ?