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TAITI.

agitée de cet immense océan, auquel on a, avec si peu de raison, donné le nom de Pacifique.

15 novembre. — Au point du jour, nous arrivons en vue de Taïti, île classique pour tous les voyageurs de la mer du Sud. Vue à une certaine distance, l’île est peu attrayante. On ne peut pas encore apercevoir l’admirable végétation des basses terres, et on ne voit guère, au milieu des nuages, que les pics sauvages et les précipices qui forment le centre de l’île. Un grand nombre de canots viennent entourer notre vaisseau dès que nous jetons l’ancre dans la baie de Matavai ; pour nous c’est le dimanche, pour Taïti c’est le lundi ; s’il en avait été autrement, nous n’aurions pas reçu une seule visite, car les habitants obéissent strictement à l’ordre de ne pas mettre un canot à la mer le dimanche. Nous débarquons après dîner pour jouir de toutes les délicieuses impressions que produit toujours un pays nouveau, surtout quand ce pays est la charmante Taïti. Une foule d’hommes, de femmes et d’enfants, tous gais et joyeux, est rassemblée sur la célèbre pointe Vénus pour nous recevoir. Ils nous conduisent chez M. Wilson, missionnaire du district, qui nous accueille très-amicalement. Après quelques instants de repos chez lui, nous allons faire une promenade.

Les terres cultivables ne consistent guère qu’en une bande de sol d’alluvion accumulée autour de la base des montagnes et protégée contre les vagues de la mer par un récif de corail qui entoure toute l’île. Entre ce récif et la côte, l’eau est aussi calme que le serait celle d’un lac ; là les indigènes peuvent lancer leurs canots en toute sécurité, et c’est là aussi que les vaisseaux jettent l’ancre. Ces terres basses, qui s’étendent jusqu’au bord de la mer, sont recouvertes par les plus admirables produits des régions intertropicales. Au milieu des bananiers, des orangers, des cocotiers, des arbres à pain, on a défriché quelques champs où l’on cultive l’igname, la patate, la canne à sucre et l’ananas. Les buissons eux-mêmes sont composés d’un arbre à fruit, le guava ; cet arbre a été importé et est aujourd’hui si abondant, qu’il est presque devenu une mauvaise herbe. J’avais souvent vu au Brésil l’admirable contraste que forment les bananiers, les palmiers et les orangers. Ici vient s’ajouter l’arbre à pain, à la splendide feuille luisante et profondément entaillée. C’est quelque chose d’admirable que de voir des bosquets composés d’un arbre aussi vigoureux que le chêne chargé d’immenses fruits nutritifs. Il est rare que la pensée de l’utilité