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FUNÉRAILLES D’UNE INDIGÈNE.

nous rendons dans un autre, perché sur une colline à quelque distance. Le chef, encore païen, avait perdu une de ses filles cinq jours avant notre arrivée. On avait brûlé la hutte dans laquelle elle était morte ; son corps, placé entre deux petits canots, était exposé debout sur le sol, enfermé dans une palissade couverte des images de leurs dieux en bois sculpté ; le tout était peint en rouge de façon à ce qu’on pût l’apercevoir de fort loin. La robe de la morte était attachée au cercueil, ses cheveux, coupés, étaient placés à ses pieds. Ses parents s’étaient fait des entailles sur les bras, sur le corps et sur la figure, de telle sorte qu’ils étaient tous couverts de caillots de sang ; les vieilles femmes, en cet état, étaient abominables. Quelques officiers visitèrent à nouveau cet endroit le lendemain ; les femmes continuaient encore à gémir et à se taillader la peau.

Nous continuons notre promenade et nous arrivons bientôt à Waiomio. On trouve là des masses de grès singulières qui ressemblent à de vieux châteaux en ruine. Ces rochers ont servi longtemps de sépulture et sont, par conséquent, des lieux trop sacrés pour qu’on ose s’en approcher. Cependant un des jeunes gens qui nous accompagnent s’écrie : « Soyons braves ! » et il s’élance en avant ; toute la troupe le suit, mais, quand ils se trouvèrent à une centaine de mètres des rochers, ils s’arrêtèrent tous d’un commun accord. Je dois ajouter qu’ils nous laissèrent visiter cet endroit sans nous faire la moindre observation. Nous nous reposons dans ce village pendant quelques heures ; M. Bushby a eu, pendant ce temps, une longue discussion avec un vieillard à propos du droit de vendre certaines terres ; le vieillard, qui paraît très-fort sur la généalogie locale, indique les possesseurs successifs en enfonçant dans le sol une série de morceaux de bois. Avant de quitter le village on nous remet à chacun un panier de patates rôties ; selon la coutume, nous les emportons pour les manger en route. Au milieu des femmes occupées à faire la cuisine, j’ai remarqué un esclave mâle. Ce doit être chose fort humiliante, chez un peuple si guerrier, que d’être employé à ce que l’on considère comme un travail presque indigne des femmes. On ne permet pas aux esclaves de faire la guerre ; mais est-ce là une privation bien grande ? J’ai entendu parler d’un pauvre malheureux qui, pendant une bataille, passa à l’ennemi. Deux hommes s’emparèrent immédiatement de lui, mais comme ils ne purent s’entendre sur la question de savoir à qui il appartiendrait, tous deux le menaçaient de leur hache de pierre, et chacun semblait tout au moins décidé à ce que l’autre ne l’eût