Page:Darwin - Voyage d’un naturaliste autour du monde, trad. Barbier, 1875.djvu/508

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
492
ILE KEELING.

séparée en plusieurs îlots par des canaux fort larges ; le fait que, dans ces parties, les arbres sont plus jeunes et plus verts, prouve la véracité de la carte. Dans les conditions anciennes du récif, une forte brise, en jetant plus d’eau par-dessus la barrière, tendait à élever le niveau de l’eau qui se trouve dans le lagoon. Aujourd’hui, tout agit en sens contraire ; en effet, non-seulement l’eau du lagoon n’est plus augmentée par des courants venant de l’extérieur, mais encore elle est repoussée par la force du vent. Ainsi, on a observé que la marée, près de l’extrémité du lagoon, ne s’élève pas aussi haut par un vent assez fort que par un temps calme. Cette différence de niveau, bien que certainement fort petite, a, je crois, causé la mort de ces buissons de corail qui avaient atteint la limite supérieure de leur croissance dans l’ancienne condition du récif extérieur.

À quelques milles au nord de Keeling, se trouve un autre petit attol, dont le lagoon est presque rempli par de la boue de corail. Le capitaine Ross a trouvé, enfoui dans le conglomérat, sur la côte extérieure, un morceau de grès arrondi, un peu plus gros que la tête d’un homme ; cette trouvaille lui causa tant de surprise, qu’il emporta cette pierre et la conserva comme une curiosité. Il est fort extraordinaire, en effet, qu’on ait trouvé cette unique pierre à un endroit où tout ce qui est solide est composé de matières calcaires. Cette île n’a été visitée que très-rarement ; il est peu probable qu’un vaisseau y ait fait naufrage. Faute de meilleure explication, j’en vins à la conclusion que ce bloc de grès devait avoir été transporté dans les racines de quelque gros arbre. D’autre part, en considérant l’immense distance à laquelle se trouve la terre la plus rapprochée, en pensant à toutes les chances qu’il y a pour qu’une pierre ne soit pas ainsi emprisonnée, pour que l’arbre ne tombe pas à la mer, puis qu’il aille flotter aussi loin, qu’il arrive heureusement, et que la pierre vienne se placer de façon à ce qu’on puisse la découvrir, je me disais que, sans aucun doute, j’imaginais une explication fort improbable. J’ai donc été fort heureux de voir cette explication confirmée par Chamisso, le savant naturaliste qui a accompagné Kotzebue. Il constate que les habitants de l’archipel Radack, groupe d’îles de corail situées au milieu du Pacifique, se procurent les pierres nécessaires pour aiguiser leurs outils en cherchant dans les racines d’arbres amenés par les vagues sur les côtes de leurs îles. Il est évident qu’on a dû en trouver plusieurs fois, puisque la loi du pays ordonne que ces pierres appartiennent aux