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ILE KEELING.

Birgus latro, ou même identique avec lui. La première paire de pattes de ce crabe se termine par des pinces extrêmement fortes et extrêmement pesantes ; la dernière paire porte des pinces plus faibles et beaucoup plus effilées. Il semble tout d’abord impossible qu’un crabe puisse ouvrir une grosse noix de coco couverte de son écorce ; mais M. Liesk m’affirme le fait. Le crabe déchire d’abord l’écorce fibre par fibre, en commençant par l’extrémité où se trouvent les trois ouvertures de la noix ; quand il a enlevé toutes les fibres, il se sert de ses grosses pinces comme d’un marteau et frappe sur les ouvertures jusqu’à ce qu’il les ait brisées. Il se retourne alors et, à l’aide de ses pinces effilées, il extrait la substance blanche albumineuse qui se trouve à l’intérieur de la noix. C’est là un exemple d’instinct très-curieux : c’est aussi un exemple d’une adaptation de conformation entre deux objets aussi éloignés l’un de l’autre dans le plan général de la nature, qu’un crabe et un cocotier. Le Birgue ne sort que le jour ; on dit cependant qu’il se rend toutes les nuits à la mer, sans doute pour se baigner. Les jeunes naissent sur la côte. Ces crabes habitent de profonds terriers qu’ils creusent sous les racines des arbres ; ils y accumulent des quantités surprenantes de fibres qu’ils ont enlevées aux noix de coco et s’en font un véritable lit sur lequel ils se couchent. Les Malais recueillent ces masses fibreuses qu’ils emploient en guise d’étoupe. Ces crabes sont très-bons à manger ; on trouve, en outre, sous la queue des plus grands une grosse masse de graisse que l’on fait fondre et qui produit quelquefois un bon litre d’huile limpide. Quelques voyageurs ajoutent que les Birgues grimpent aux cocotiers pour cueillir les noix ; j’avoue que je doute beaucoup qu’ils puissent le faire. M. Liesk m’a affirmé que, sur ces îles, les Birgues se nourrissent uniquement des noix tombées sur le sol.

Le capitaine Moresby m’apprend que ce crabe habite l’archipel des Chagos et celui des Séchelles, mais qu’il ne se trouve pas dans l’archipel voisin des Maldives. On le trouvait autrefois en quantité considérable à l’île Maurice, mais il n’y en a plus aujourd’hui que quelques-uns, et ils sont très-petits. Dans le Pacifique, cette espèce ou une espèce aux habitudes analogues habite, dit-on, une seule île de corail, située au nord de l’archipel de la Société. Je puis ajouter, pour prouver la force extraordinaire des pinces qui terminent les pattes de devant, que le capitaine Moresby en avait enfermé un dans une forte boîte de fer-blanc qui avait servi à trans-