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FOURMIS.

réussit ainsi à envelopper quelques insectes, qui firent d’étonnants efforts pour se soustraire à une terrible mort. Quand les fourmis eurent atteint la route, elles changèrent de direction, se divisèrent en files étroites et remontèrent le mur. Je plaçai une petite pierre de façon à intercepter la route de l’une des files ; le bataillon entier l’attaqua, puis se retira immédiatement. Peu après, un autre bataillon revint à la charge ; mais, n’ayant pu enlever l’obstacle, se retira à son tour et on abandonna cette route. En faisant un détour de 1 pouce ou 2, la file aurait pu éviter cette pierre ; c’est ce qui serait sans doute arrivé si elle avait été là dans le principe ; mais ces courageux petits guerriers avaient été attaqués et ne voulaient pas céder.

On trouve en grand nombre dans les environs de Rio certains insectes qui ressemblent à des guêpes et qui construisent avec de l’argile des cellules pour leurs larves dans le coin des vérandahs. Ils emplissent ces cellules d’araignées et de chenilles, qu’ils semblent savoir admirablement piquer avec leur aiguillon, de façon à les paralyser sans les tuer tout à fait, et qui restent là, à moitié mortes, jusqu’à ce que les œufs soient éclos. Les larves se nourrissent de cette horrible masse de victimes impuissantes, mais vivantes encore ; spectacle affreux, qu’un naturaliste enthousiaste[1] appelle cependant amusant et curieux ! Un jour j’observai avec beaucoup d’intérêt un combat terrible entre un Pepsis et une grosse araignée du genre Lycose. La guêpe se précipita soudain sur sa proie, puis s’envola immédiatement ; l’araignée était évidemment blessée, car, en essayant de fuir, elle se laissa rouler le long d’une petite déclivité de terrain ; il lui resta cependant encore assez de force pour se traîner dans une touffe d’herbes où elle se cacha. La guêpe revint bientôt et sembla surprise de ne pas retrouver immédiatement sa victime. Elle commença alors une chasse tout aussi régulière que peut l’être celle d’un chien qui poursuit un renard ; elle vola deci delà, faisant tout le temps vibrer ses ailes et ses antennes. L’araignée, quoique bien cachée, fut bientôt découverte ; et la guêpe, redoutant évidemment encore les mâchoires de son adversaire, manœuvra avec soin pour se rapprocher d’elle

  1. Dans un manuscrit du British Museum, manuscrit écrit par M. Abbott, qui a fait ses observations en Géorgie. Voir le mémoire de M. A. White dans les Annals of Nat. Hist., vol. VII, p. 472. Le lieutenant Hutton a décrit un sphex qui habite les Indes et qui a les mêmes habitudes (Journal of the Asiatic Society, vol. I, p. 535).