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ment visité que les habitations des hautes classes, où les esclaves domestiques sont ordinairement bien traités ; ils n’ont pas eu comme moi l’occasion de vivre au milieu des classes inférieures. Ces gens-là, en outre, s’adressent ordinairement aux esclaves pour savoir quelle est leur condition, mais ils semblent oublier que bien insensé serait l’esclave qui ne penserait pas que sa réponse arrivera tôt ou tard aux oreilles de son maître.

On soutient, il est vrai, que l’intérêt suffit à empêcher des cruautés excessives. Or, je le demande, l’intérêt a-t-il jamais protégé nos animaux domestiques, qui, bien moins que des esclaves dégradés, ont l’occasion de provoquer la fureur de leurs maîtres ? C’est là un argument contre lequel l’illustre Humboldt a protesté avec énergie. On a souvent essayé aussi d’excuser l’esclavage en comparant la condition des esclaves à celle de nos pauvres paysans. Grande est certainement notre faute, si la misère de nos pauvres découle non pas des lois naturelles, mais de nos institutions ; mais je ne peux guère comprendre quel rapport cela a avec l’esclavage ; prétend-on excuser dans un pays, par exemple, l’emploi d’instruments disposés de façon à écraser le pouce des esclaves, parce que, dans un autre pays, des hommes sont sujets à de terribles maladies ? Ceux qui excusent le propriétaire d’esclaves et qui restent froids devant la position de l’esclave semblent ne s’être jamais mis à la place de ce dernier ; quel terrible avenir, sans l’espoir du moindre changement ! Figurez-vous quelle serait votre vie, si vous aviez toujours présente à l’esprit cette pensée, que votre femme et vos enfants — ces êtres que les lois naturelles rendent chers même à l’esclave — vont vous être enlevés et vendus, comme des bêtes de somme, au plus fort enchérisseur ! Or ce sont des hommes qui professent un grand amour pour leur prochain, qui croient en Dieu, qui répètent tous les jours que sa volonté soit faite sur la terre, ce sont ces hommes qui excusent, que dis-je ? qui accomplissent ces actes ! Mon sang bout quand je pense que nous autres Anglais, que nos descendants américains, que nous tous enfin qui nous vantons si fort de nos libertés, nous nous sommes rendus coupables d’actes semblables ! Mais j’ai tout au moins cette consolation de penser que nous avons fait, pour expier nos crimes, un sacrifice plus grand que jamais nation ait fait encore.

Le 31 août, nous jetons l’ancre pour la seconde fois à Porto-Praya, dans l’archipel du Cap-Vert ; de là nous nous rendons aux