Page:Darwin - Voyage d’un naturaliste autour du monde, trad. Barbier, 1875.djvu/92

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
76
LE GÉNÉRAL ROSAS.

charger et décharger les chevaux, dresser les tentes pour la nuit ; en un mot, véritables esclaves, comme les femmes de tous les sauvages, se rendre aussi utiles que possible. Les hommes se battent, chassent, soignent les chevaux et fabriquent les articles de sellerie. Une de leurs principales occupations est de frapper deux pierres l’une contre l’autre jusqu’à ce qu’elles soient arrondies, afin de s’en servir pour fabriquer les bolas. À l’aide de cette arme importante, l’Indien attrape son gibier et même son cheval, qui erre en liberté dans la plaine. Quand il se bat, il essaye d’abord de renverser le cheval de son adversaire avec ses bolas et de le tuer avec son chuzo pendant qu’il est embarrassé dans la selle. Si les bolas n’atteignent que le cou ou le corps d’un animal, elles sont souvent perdues ; or, comme il faut deux jours pour arrondir ces pierres, leur fabrication est une source de travail continuel. Beaucoup d’entre eux, hommes et femmes, se peignent la figure en rouge, mais je n’ai jamais vu ici les bandes horizontales si communes chez les Fuégiens. Leur principal orgueil consiste à ce que tout le harnachement de leurs montures soit en argent. Quand il s’agit d’un cacique, éperons, étriers, bride du cheval, ainsi que le manche du couteau, tout est en argent. Je vis un jour un cacique à cheval ; les rênes étaient en fil d’argent et pas plus grosses qu’une corde à fouet ; voir un cheval fougueux obéir à une chaîne aussi légère n’était pas sans présenter quelque intérêt.

Le général Rosas exprima le désir de me voir, circonstance dont j’eus lieu de me féliciter plus tard. C’est un homme au caractère extraordinaire, qui a la plus profonde influence sur ses compatriotes ; influence qu’il mettra sans doute au service de son pays pour assurer sa prospérité et son bonheur[1]. Il possède, dit-on, 74 lieues carrées de pays et environ trois cent mille têtes de bétail. Il dirige admirablement ses immenses propriétés et il cultive beaucoup plus de blé que tous les autres propriétaires du pays. Les lois qu’il a faites pour ses propres estancias, un corps de troupes de plusieurs centaines d’hommes qu’il a su admirablement discipliner, de façon à résister aux attaques des Indiens, voilà ce qui attira tout d’abord les yeux sur lui et commença sa célébrité. On raconte bien des anecdotes sur la rigidité avec laquelle il faisait exécuter ses lois. Voici une de ces anecdotes : il avait ordonné, sous peine d’être attaché au bloc, que personne ne portât son couteau le dimanche.

  1. Les événements ont cruellement démenti cette prophétie. 1845.