Page:Daudet – Les Rois en exil – Éditons Lemerre.djvu/112

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ramenait matin et soir, l’eût suivie toujours si la souple créature n’eût glissé sans cesse à travers ses gros doigts rudes. C’était entre eux une lutte silencieuse. De la fenêtre de l’intendance, le duc, à son bureau, voyait non sans dépit sa jolie bru dans les toilettes délicieuses qu’elle combinait avec son grand couturier, se pelotonner en voiture, toute rose dans la buée des vitres s’il faisait froid, ou sous l’abri de son ombrelle à franges, aux heureux jours.

— Vous sortez ?

— Service de la reine ! répondait triomphalement derrière son voile la petite Sauvadon, et c’était vrai. Frédérique se mêlait fort peu au bruit de Paris et laissait volontiers toutes ses commissions à sa dame d’honneur, n’ayant jamais compris la vanité de donner chez un fournisseur en vogue son nom et son titre de reine au milieu du personnel prosterné et de la curiosité inquisitrice des femmes présentes. Aussi la popularité mondaine lui manquait. On ne discutait jamais dans un salon sur la nuance de ses cheveux ou de ses yeux, sur la majesté un peu raide de sa taille et sa façon dégagée de porter les modes parisiennes.

Un jour, un matin, le duc avait trouvé Colette à son départ de Saint-Mandé si volontairement sérieuse, avec une exaltation très marquée de son type de grisette, que d’instinct, sans savoir — les vrais chasseurs ont de ces ins-