Page:Daudet – Les Rois en exil – Éditons Lemerre.djvu/124

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mais comme il fallait à ses nerfs une distraction, un soulagement, elle tourna sa colère, ses joutes taquines, contre Élisée, et se mit définitivement du parti de la marquise, car la maison royale était divisée en deux camps. Élisée n’avait guère pour lui que le père Alphée, dont le parler rude, le boutoir toujours prêt, étaient d’un fier secours à l’occasion ; mais le moine faisait en Illyrie de fréquents voyages, chargé de missions entre la maison mère de la rue des Fourneaux et les couvents franciscains de Zara et de Raguse. Du moins c’était là le prétexte de ses absences accomplies dans le plus grand mystère, et dont il revenait toujours plus ardent, grimpant l’escalier à grands pas furieux, le rosaire roulé dans les doigts, une prière aux dents qu’il mâchonnait comme une balle. Il s’enfermait pendant de longues heures avec la reine, puis se remettait en route, laissant toute la coterie de la marquise librement liguée contre le précepteur. Depuis le vieux duc, que la tenue négligée, la chevelure en broussaille de Méraut, choquaient dans ses habitudes de discipline militaire et mondaine, jusqu’à Lebeau, le valet de chambre, ennemi d’instinct de toute indépendance, jusqu’au plus humble palefrenier ou garçon de cuisine courtisan de M. Lebeau, jusqu’à l’inoffensif Boscovich, qui faisait comme les autres par lâcheté, par respect du nombre,