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LES ROIS EN EXIL

Tenez, regardez là-bas, tout au fond. Une porte vient de s’ouvrir. J. Tom Lévis se montre une seconde, plus majestueux à lui seul que tout son personnel, majestueux par sa bedaine rondelette, majestueux par son crâne raboté et luisant comme le parquet de l’agence, par le renversement de sa petite tête, son regard à quinze pas, le geste despotique de son bras court et la solennité avec laquelle il demande en criant très fort avec son accent insulaire si l’on a fait « l’envoâ de son Altesse Royale Monseigneur le prince de Galles, » en même temps que de la main restée libre il tient hermétiquement close derrière lui la porte de son cabinet, pour bien donner à entendre que l’auguste personnage enfermé là est de ceux qu’on ne dérange sous aucun prétexte.

Il va sans dire que le prince de Galles n’est jamais venu à l’agence, et qu’on n’a pas le moindre envoi à lui faire ; mais. vous pensez l’effet de ce nom sur la foule du magasin et sur le client solitaire à qui Tom vient de dire dans son cabinet : « Pardon… une minute… un petit renseignement à demander. »

De la banque ! de la banque ! Il n’y a pas plus de prince de Galles derrière la porte du cabinet qu’il n’y a de raki ou de kümmel dans les bouteilles bizarres de la vitrine, de bière anglaise ou viennoise dans les tonneaux cerclés