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LES ROIS EN EXIL

l’arrivée de ses princes, il accourait à eux sans hésiter ; et maintenant raide et debout au milieu du salon, dressant jusqu’au lustre sa taille colossale, il attendait avec tant d’émotion la grâce d’un accueil favorable qu’on pouvait voir trembler ses longues jambes de pandour, haleter sous le grand cordon de l’ordre son buste large et court revêtu d’un frac bleu collant et militairement coupé. La tête seule, une petite tête d’émouchet, regard d’acier et bec de proie, restait impassible avec ses trois cheveux blancs hérissés et les mille petites rides de son cuir racorni au feu. Le roi, qui n’aimait pas les scènes et que cette entrevue gênait un peu, s’en tira par un ton d’enjouement, de cordialité cavalière :

— Eh bien ! général, dit-il en venant vers lui les mains tendues, c’est vous qui aviez raison… J’ai trop tendu la bride… Je me suis fait secouer, et raide.

Puis, voyant que le vieux serviteur inclinait le genou, il le releva d’un mouvement plein de noblesse et l’étreignit contre sa poitrine longuement. Personne, par exemple, n’aurait pu empêcher le duc de s’agenouiller devant sa reine, à qui la caresse respectueusement passionnée de cette antique moustache sur sa main causa une émotion singulière.

— Ah ! mon pauvre Rosen !… mon pauvre Rosen !… murmura-t-elle.