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LES ROIS EN EXIL

forte, ni sûre. Le royaliste souffrait, s’indignait de l’outrage qu’on lui faisait faire à la couronne. Il la sentait frémir, résister, se débattre…

— Je ne peux pas… Je ne peux pas…, dit-il en essuyant la sueur qui mouillait son front.

La reine répondit :

— Il le faut…

— Mais cela va se voir !

Elle eut un fier sourire d’ironie :

— Se voir !… Est-ce qu’on la regarde seulement ?… Qui donc y songe, qui s’en occupe ici, excepté moi ?…

Et tandis qu’il reprenait sa tâche, la tête penchée toute pâle, ses grands cheveux dans les yeux, broyant entre ses genoux le royal diadème que le sécateur dépeçait, déchiquetait, Frédérique, la lampe haute, surveillait l’attentat, aussi froide que ces pierres qui luisaient avec des morceaux d’or sur le tapis de la table, intactes et splendides malgré l’arrachement.

Le lendemain, Élisée, qui était resté dehors tout le matin, rentra après le premier coup du déjeuner, s’assit à table, ému, troublé, se mêlant à peine à la conversation dont il était ordinairement la lumière et l’entrain. Cette agitation gagna la reine sans altérer en rien son sourire ni la sérénité de son contralto ; et, le repas fini, ils furent longtemps encore avant de se rapprocher, de pouvoir causer entre eux