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Page:Daudet – Les Rois en exil – Éditons Lemerre.djvu/248

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votre rang, où nous vivrons tout seuls, rien que nous…

— Oh ! ce serait trop beau.

Elle rêvait, levant ses yeux de petite fille, candides et mouillés. Puis vivement :

— Mais non… vous êtes roi… Un jour, en plein bonheur, vous me quitteriez…

— Jamais.

— Et si l’on vous rappelle…

— Où donc ?… En Illyrie ?… Mais c’est fini, à jamais rompu… J’ai manqué l’an dernier une de ces occasions qui ne reviennent pas deux fois.

— Bien vrai ? dit-elle avec une joie qui n’était pas feinte… Oh ! si j’en étais sûre !…

Il eut un mot aux lèvres pour la convaincre, un mot qu’il ne dit pas, mais qu’elle entendit bien ; et le soir, J. Tom Lévis, que Séphora tenait au courant de tout, déclara solennellement que « ça y était… qu’il fallait prévenir le père… »

Séduit comme sa fille par l’imagination, la verve communicative, l’inventif bagou de Tom Lévis, Leemans avait mis plusieurs fois de l’argent dans les coups de l’agence. Après avoir gagné, il avait perdu, suivant en cela les chances du jeu ; mais lorsqu’il se fut fait rouler — comme il disait — deux ou trois fois, le bonhomme prit une attitude. Il ne récrimina pas, ne s’emporta pas, connaissant trop bien les