Page:Daudet – Les Rois en exil – Éditons Lemerre.djvu/330

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d’ambre auquel pend une croix. Offert et bénit par le pape, ce collier a sa légende que les fidèles se racontent tout bas. Frédérique l’a porté tout le temps du siège de Raguse, deux fois perdu et miraculeusement retrouvé dans les sorties, sous le feu de la bataille. Elle y attache une superstition, y fait tenir un vœu de reine, sans se préoccuper de l’effet charmant de ces perles dorées si près de ses cheveux dont elles égrènent pour ainsi dire les reflets.

Tandis que les souverains sont là, debout, radieux, admirant la fête et la vue du jardin féériquement allumé, du milieu d’un massif de rhododendrons partent subitement trois coups d’archets, bizarres, déchirants, énergiques. Tout ce qu’il y a de slave dans l’assemblée tressaille en reconnaissant le son des guzlas, dont on entrevoit à travers la verdure sombre les mandolines à long manche. Cela commence par un prélude bourdonnant, un débordement de lointaines ondes sonores qui s’avance, monte, grandit, se répand. On dirait une nuée lourde, chargée d’électricité, que de temps en temps l’archet plus vif zèbre d’éclairs et d’où jaillit bientôt le rythme orageux, voluptueux, héroïque, de l’air national, hymne et danse à la fois, de cet air de Rodoïtza qui là-bas est de toutes les fêtes, de toutes les batailles, et présente bien le double caractère de