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LES ROIS EN EXIL

qu’elle… mais pas d’étoile, pas de foi… Et pour gagner le ciel, comme pour sauver sa couronne, monsieur le duc, il faut la foi !

Le moine s’exaltait, grandi dans sa longue robe, et Rosen était obligé de le calmer :

— Doucement, Père Alphée… Père Alphée, allons, allons… car il avait peur que Colette les entendît.

Celle-ci restait abandonnée au conseiller Boscovich qui l’entretenait de ses plantes, mêlant les termes scientifiques aux détails minutieux de ses courses de botaniste. Sa conversation sentait l’herbe fanée et la poussière remuée d’une vieille bibliothèque de campagne. Eh bien ! il y a dans les grandeurs un si puissant attrait, l’atmosphère qu’elles répandent grise si fort et si délicieusement certaines petites natures avides à l’aspirer, que la jeune princesse, cette princesse Colette des bals du high-life, des courses et des premières représentations, toujours à l’avant-garde du Paris qui s’amuse, gardait son plus joli sourire en écoutant les arides nomenclatures du conseiller. Il lui suffisait de savoir qu’un roi causait à cette fenêtre, que deux reines échangeaient leurs confidences dans la pièce à côté, pour que ce banal salon d’hôtel où son élégance s’étalait toute dépaysée, s’emplît de la grandeur, de la majesté triste qui rend si mélancoliques les vastes salles de Versailles aux parquets cirés, luisants comme leurs glaces.